Quinze histoires de Noël

La fête du 19e siècle à aujourd'hui

posté le 11-12-2021 à 10:24:33

Noel a gogo avec les Indésirables

 

PRÉSENTATION


Je me sers ici des personnages en vedette dans mon roman publié Les Fleurs de Lyse. Nous voilà au cœur des années 1960, avec un groupe musical raffolant du rock & roll et du nom des Indésirables, mené par un doux dingue surnommé  Baraque, chanteur expansif. Ces vilains petits canards arriveront à enregistrer trois disques, dont un, Grand-père à gogo, deviendra un succès radiophonique, permettant à nos joyeux drilles des passages à la télévision. Les paroles de la chanson ont été écrites par Julie, adolescente intellectuelle et petite amie du guitariste rythmique Robert, et désignait le grand-papa du jeune homme : Roméo Tremblay. Le récit suivant contient des brides vues dans le roman, mais devient avant tout une création avec les personnages turbulents de cette fable moderne.   

 

 

10 - NOEL À GOGO AVEC LES INDÉSIRABLES (1966) 

 

 

L’on fête maintenant Noël le 15 décembre, le 27, et même le 2, cela dépend des disponibilités des locaux et des gens que l’on désire voir. Alors, je ne vois rien de mal à organiser un réveillon de Noël à gogo le 28, un mercredi, le jour le plus ennuyeux de la semaine, donnant l’assurance que les jeunes à inviter seront tous d’accord. Interdit aux plus de dix-huit ans ! Mon père, un croulant, a chialé contre cette idée, mais ma mère, davantage dans le vent, lui a fait entendre raison, ce qui n’empêchera pas le paternel de ficher le camp vers le  fond de l’horizon, loin de nos cheveux longs et de notre boucan.

 

 

 

Baraque m’a chanté sa litanie sur la règle d’or de tout bon party pour jeunes : inviter six gars et dix-huit filles. Quatre de celles-ci, mon amoureuse Julie, ma sœur Johanne et ses inséparables copines Nicole et Sylvie, promettent de demander à six filles de leur école et pas une de plus. Pour notre part, hors les cinq Indésirables, il nous manque six gars pour atteindre la dizaine des filles. Baraque jure que ce sera un party ennuyant, à cause de cette inégalité 10 & 10. À vingt jeunes, on va s’amuser, danser, se raconter des blagues et le groupe pourra certes présenter Grand-père à gogo, puis deux airs de Noël. À chacun sa tâche pour l’organisation : moi-même pour les disques. Comme il y en a! Mais aucun de Noël… Heureusement que Gilles, notre batteur, m’apporte le microsillon des Ventures, où ils reprennent les classiques du genre, mais en changeant les introductions, trafiquées en pièces rock populaires. Une bonne idée et très bien fait! Tout ça manque un peu de rock à gogo et même les Beach Boys se sont cassé le menton avec leur essai de nouvelle chanson de célébration. Toujours les mêmes, mais c’est ce que les gens désirent entendre, tout comme ils veulent un réveillon avec de la tourtière, mettre des lumières dans le sapin et déposer les cadeaux en dessous et que tous les enfants adorent le père No. Un peu comme du folklore et j’imagine que ce serait une triste fête sans une de ces chansons.  Mike, notre organiste, s’occupera de la technique, entre autres pour placer nos instruments dans un si petit espace et en pensant qu’il ne faudra pas faire paniquer les voisins, avec une sonorité trop élevée. Mon cousin Charles, guitariste soliste, s’occupera de contrôler Baraque dans le domaine des rafraichissements.  « Non, Baraque! Pas de bière! Du Coke ou du jus d’orange! » Gilles sera le ministre des loisirs, avec douze idées de jeux amusants et… Non, Baraque! Ne pas demander aux filles de se cacher et aux gars de les trouver pour les embrasser dans l’obscurité! Quant à ma sœur et ses filles : la décoration!

 

« On va mettre des ballons là, là là.

- Quelle couleur ?

- Rouge, à cause du père Noël.

- Oh, Jojo, j’ai une belle poupée du père Noël, à la maison!

- Apporte-là, Nini.

- Où installer les ballons ?

- Près du plafond, là là. Puis des serpentins!

- De la ouate pour imiter la neige!

- Bonne idée, Vievie!- Puis la crèche ?

- Tu veux mettre une crèche pour un Noël à gogo, là là ?

- Je suis certaine que Jésus adore les Beatles!

- On la mettra sur le comptoir du bar. Ainsi, tout le monde pourra la voir, là là.»

 

 

Ce sera une fête intime, car si tout le monde savait que les Indésirables organisent une rencontre, tous les copains et copines de la ville se seraient présentés, parce que nous sommes passés à l’émission de télévision Jeunesse d’aujourd’hui. Ah, il faut l’avouer : 1966 fut une bonne année pour les Indésirables suite au succès de notre 45 tours!

 

« Je peux participer aussi, Robert ?

- Toi, grand-père Roméo ? Mais c’est une fête pour jeunes.

- Mais puisque je suis à gogo.

- Robert, Roméo pourrait se déguiser en père Noël, pour apporter les présents, cela pendant que vous allez jouer votre succès.

- Julie! Une merveilleuse idée! T’es d’accord, grand-papa ?

- Oui, bien sûr! » 

 

 

Nous avons du budget pour les cadeaux, mais sûrement pas pour tant de personnes. Il vaut donc miser sur des petits présents. Johanne et les filles choisiront pour les garçons et les Indésirables, pour les filles. Ces derniers présents seront emballés dans du rose et ceux de gars sur… pas besoin de la dire. Petites choses comme du chocolat, des 45 tours, la plus récente copie de la revue Salut les Copains, des rubans pour les cheveux, des…


« Des capotes ?

- Honnêtement, Baraque, hein…

- Quoi ? Peuvent en avoir besoin, à la fin du party.

- Sois délicat envers les demoiselles.

- Mais avec une capote, je suis…

- Tais-toi! »

 

 

Le moment important arrivé, nous sommes excités alors qu’arrive un premier invité, qui, très chic, transporte une petite boîte enrubannée. Cadeau pour le groupe ? Les gars sont vêtus relax, mais les filles semblent porter leurs plus belles jupes et robes. J’ai du mal à retenir Baraque, prêt à leur faire la cour à sa façon rock & roll. Je me précipite vers le phono et sélectionne les 45 tours à faire entendre pour l’ambiance de bienvenue, manipulés par Julie, boudeuse parce que je ne ferai pas entendre Claude Réveiller et Jacques Bref.

 

 

« As-tu Va-t-en, par les Sultans ?

- Je ne sais pas.

- Chaque fois que Bruce chante Va-t-en, Va-t-en, je pleure tout le temps.

- Regarde.

- Tu n’as pas l’air de bonne humeur. Quel est ton nom ?

- Julie. Je suis la petite amie de Robert, le guitariste rythmique.

- Oooooh! Quelle chanceuse! En amour avec un musicien yéyé! »

 

Cela ne prend pas des heures que la musique ravit tout le monde. Gars et filles dansent, prennent une pause pour raconter comme le prof de mathématique est chien et que la bonne sœur de biologie est vache. Les filles admirent les décorations et les gars trouvent curieux de croiser une crèche si près du bar, où il n’y a que du Coke et du Seven-Up, puis deux bouteilles de Fanta pour Mike. Baraque danse un jerk endiablé au son d’un succès des Supremes et il a l’air d’une tornade, prêt à ravager le pays des filles d’Ève. Se mêleront le monkey à l’incontournable Ya Ya, que Baraque qualifie comme la polka de la jeune génération.  Il réclame un slow. Julie a trouvé le disque des Sultans.

 

 

« Vrai qu’elle pleure. Phénomène adolescent intéressant. Bon sujet pour une analyse psychologique.

- Va parler avec les autres filles. Je prends ta relève.

- Si je vois ton imbécile de gorille trop serrer la taille d’une invitée, je te promets une contestation à tout casser. »

 

 

Julie n’est pas trop aimée par ses semblables. Trop différente. Ne porte-t-elle pas un blue-jeans ? Pour Noël ? Plusieurs seraient stupéfaites d’apprendre qu’elle a composé les paroles de Grand-père à gogo. Quand Baraque lui ouvre ses six bras, elle passe outre avec un air hautain à tout casser. Les filles dansent surtout seules, car les gars semblent davantage intéressés à regarder nos instruments et à parler de l’avenir des divins Canadiens de Montréal contre ces pourris de Maple Leafs de Toronto. Je passe le Satisfaction des Rolling Stones et tous se lancent pour rejoindre les filles, tout en jouant de la guitare invisible. Je fais suivre par la face A du microsillon des Ventures et tout le monde tombe dans leur panneau des fausses introductions enchaînées par une ritournelle de Noël. Voilà Johanne et ses acolytes et leurs jeux sociaux. Jouons à l’âne en premier lieu. Il s’agit de piquer la queue de l’animal au bon endroit, tout en ayant les yeux bandés. Un peu enfantin, mais tout le monde semble de si bonne humeur et participe. C’est à ce moment que j’entends la sonnerie de la porte. Je monte à toute vitesse pour voir ma mère ouvrir à son papa Roméo.

 

 

« D’accord, grand-père ? Après le deuxième morceau, tu descends, alors qu’on aura commencé à jouer Grand-père à gogo.

- Très bien, Robert.

- Maman, donne-lui le sac de cadeaux. Il n’y a pas de noms écrits sur les boîtes, mais les bleus sont destinés aux gars et les roses, aux filles.

- Très scientifique méthode!

- Et ton costume ?

- Un peu grand pour moi et le grand-père à gogo ne portera pas la barbe blanche. Je paraîtrai davantage dans le vent. »

 

 

Nous avons exercé deux chansons de Noël : Jingle Bell Rock et Le petit renne au nez rouge, mais il fallait bien que Baraque annonce : « Salut, les gars! Et surtout salut, les filles! On va débuter par une grande chanson de Noël : Louie Louie! » Oh non… Cela va confondre grand-père. Je passe près de mon chanteur et le lui souligne la situation. « Ah oué… Louie Louie, c’est pour le jour de l’An. La vraie chanson, c’est Jungle Belle. » Approximatif, mais sans importance : garçons et filles se tortillent, tapent dans les mains, contents d’entendre la guitare électrique de Charles et l’orgue de Mike. Quand on commence la troisième chanson, tout le monde explose de joie, mais personne ne s’attendait à voir descendre le véritable grand-père à gogo, comme il avait fait à Jeunesse d’aujourd’hui. « Oh oh oh », déclare-t-il, en agitant sa poche pleine de cadeaux.        

 

 

Il commence la distribution des présents. Les filles se lancent vers lui pour s’assoir sur ses jambes, ce qui fait grogner Baraque. Tout le monde sautille, s’esclaffe, remercie pour ces petits de rien du tout. À la fin, voilà grand-père prêt à retourner chez lui, mais nos invités lui réclament un bis, au son des Indésirables et de notre succès.         

 

 

Après son départ, l’on danse encore et jouons, mais cela ressemble à un party comme un autre. La vraie fête de l’esprit de Noël s’est manifestée avec l’arrivée de grand-papa. On nous pose des questions incessantes sur l’homme. Puis Julie, peu festive et très discrète, nous sidère en disant calmement que le véritable esprit de Noël, c’était le rapprochement dans le partage entre jeunes et un homme âgé. Tout le monde était d’accord et plusieurs clament même que ce fut leur plus beau Noël de leur vie. Allez, Baraque! Chante-nous Louie Louie pour la cerise sur le gâteau!

 

 

 

 

 


 
 
posté le 09-12-2021 à 09:14:17

La parade du père Noêl

 

PRÉSENTATION



 Mon roman Contes d’asphalte a été publié en 2001 et fut le meilleur vendeur de me phase première comme auteur public. Histoire de longue haleine, il présentait Carole, fille de Roméo, jeune intellectuelle devenant institutrice à l’école des filles de la paroisse Sainte-Marguerite, de Trois-Rivières, lieu où se manifestait une grande solidarité entre hommes et femmes, dans le cadre d’une admirable coopérative d’habitations ouvrières, œuvre d’un religieux pragmatique, le curé Chamberland. Carole y rencontre l’amour de sa vie, en la personne de Romuald, simple ouvrier d’usine. Un mariage suit, ainsi que la naissance d’un premier enfant : Martin. Ce garçon est en vedette dans la seconde partie du roman. Enfant plein d’imagination, il vit sans cesse le bonheur auprès de ses parents, de son petit frère et de sa sœur bébé, de son milieu, mais surtout de son grand-papa Roméo.

 

L’extrait présenté fait partie d’un chapitre entier (une vingtaine de pages) concentré sur tous les aspects de Noël, mais je sais qu’en l’offrant en entier, il se démarquerait trop des autres textes. J’ai donc choisi le début : une parade du père Noël, organisée par le grand magasin à rayons Fortin, de Trois-Rivières. Le petit Martin a cinq ans, et adore, bien sûr, le gros bonhomme vêtu de rouge, croit tout ce qui peut le concerner. Un grand moment de sa vie que d’assister à cette parade, en compagnie de sa mère, de son jeune frère et de sa cousine et du frère de celle-ci, guidés par Roméo. Je souligne que la description de la parade, ainsi que tous les noms des éléments participants sont véritables, ayant trouvé ceci dans un journal local. Je n’ai eu qu’à ajouter l’imagination fantaisiste de Martin, pour un récit très enfantin. Par contre, si vous croyez qu’un petit gars de cinq ans s’exprime tel un adulte, je précise que dans le roman, il s’agit d’un texte écrit par mon personnage alors qu’il avait atteint la cinquantaine.

 

 

 

 9- LA PARADE DU PÈRE NOEL (1955)            



La parade du père Noël, organisée par le grand magasin Fortin, représente l’événement le plus extraordinaire de la Terre. Le père Noël pourrait faire cette parade dans des grandes villes comme Tokyo, Paris, New York ou Asbestos, mais c’est bel et bien Trois-Rivières qu’il a choisi pour nous accueillir lui-même dans son royaume des jouets.           


Mon frère Marcel, beaucoup plus jeune que moi, croit que le père Noël peut être partout à la fois, comme le bon Dieu. Je le lui laisse croire, car cela fait partie de la douce naïveté de ses trois ans. Quand il aura mon âge, il comprendra que notre héros préside à la tête d’une grande organisation de distribution de jouets et qu’il a sous ses ordres de nombreux employés déguisés pour travailler dans les magasins. Ainsi, à Trois-Rivières, le père Noël de chez Loranger est un employé du vrai, qui règne chez Fortin. Papa me l’a affirmé, grand-père Roméo aussi et le père Noël lui-même m’a confirmé ce fait.

 

Afin de fêter son arrivée chez Fortin, le père Noël se prête de bonne grâce à une parade dans les rues de Trois-Rivières. Pour l’occasion, les fanfares mastiquent leurs trompettes, les majorettes aiguisent leurs bâtons et des tas d’adultes se déguisent pour faire croire qu’ils sont Roy Rogers ou Mickey la souris. Cette année, on nous promet Davy Croquette, ce qui excite beaucoup mon frère. Tout le monde sait que le vrai Davy Croquette habite à Hollywood et que celui que nous verrons à la parade n’est qu’un faux, déguisé comme le vrai, mais Marcel se dit content à l’idée de voir le véritable Davy. Ah! La tendresse de l’enfance… Cette année, nous irons à la parade en compagnie de grand-père Roméo, avec ma tante Patate et ses enfants Robert et Johanne. C’est d’ailleurs à leur maison que nous nous rendons, avant de cueillir grand-papa chez lui. Ma cousine Johanne se sent nerveuse à l’idée de voir le père Noël, se remémorant avec nostalgie la parade de l’an dernier.         



« Et puis, là là, il y avait un chevreuil avec un nez rouge, là là, et puis un bonhomme de neige vivant, là là.         

- Ce n’est pas un chevreuil, mais un renne.    

- Ze te dis que c’était un vrai chevreuil, là là ! Et puis, là là, après, le père Noël est arrivé ! Et puis, il m’a salué en disant Oh ! Oh ! Oh ! La belle petite Zohanne ! Et puis, là là, quand ze l’ai vu chez Fortin, il se souvenait encore de moi, là là.         

- Le père Noël connaît tous les enfants, Johanne.         

- Et puis, là là, après, il a lancé des sacs de bonbons et z’en ai attrapé deux, là là ! Il y avait des zuzubes zaunes dans le sac ! Z’étais contente! »

 

 

 J’ai l’air un peu calme, en comparaison avec Johanne et Robert, mais en réalité, je me sens nerveux. Je sais contrôler mes émotions. L’habitude fait qu’avec le temps, on peut se donner un peu de contenance, même face aux grands événements de l’histoire de Trois-Rivières. Le père Noël est l’homme le plus important du monde. Aussi très savant, connaissant toutes les langues, se souvenant des noms de chaque enfant et pouvant fabriquer tous les jouets inimaginables. Bien sûr, ces jouets, on peut les voir sur les rayons des magasins, mais ceux-ci les commandent du grand atelier du père Noël, au pôle Nord. Quand les enfants sont sages, comme moi, le père Noël apporte ce qu’on lui demande. Quand ils sont turbulents, comme Gladu, il donne quand même des jouets, mais pas ceux voulus. À tout coup, ça fonctionne. Les autres années, j’ai fait des demandes raisonnables et il a satisfait mes exigences. Un vrai professionnel, ce père Noël. Cette année, maintenant que je sais écrire, je lui ai envoyé une lettre et comme j’irai quand même le voir dans son royaume des jouets, je vais lui demander exactement la même chose que dans ma lettre. Ainsi, il n’y aura pas de risque d’erreur.          



Les erreurs peuvent se produire, même chez le père Noël. Par exemple, l’an dernier, Junior avait demandé un gant de baseball et il s’est retrouvé avec un bâton de hockey. Le père Noël s’était trompé de sport. Avec toutes ces lettres, on doit faire preuve d’un peu de compréhension s’il commet une petite faute. Cette année, je lui demande une station-service à deux étages, avec un ascenseur, deux pompes à essence et des grandes vitrines. Je lui ai fait une description détaillée en me basant sur une photographie prise dans un grand catalogue Eaton. En plus de cette station-service, je lui demande la paix sur la Terre. Le père Noël adore quand on demande cela. C’est un grand sentimental.         




« Moi, là là, ze vais lui demander de la vaisselle, celle qui est bleue, là là, avec des fleurs rouges dedans, là là.         

- Très bien, Johanne.         

- Puis en plus, là là, ze vais lui demander du linge pour mes poupées, et puis, là là, un fer à repasser, puis après, là là, ze vais lui demander une toupie verte qui…         

- Johanne ! Tu demandes un seul cadeau au père Noël ! Le supplément, tes parents vont l’acheter.         

- C’est vrai, ça ?         

- Oui.         

- Oh là là… »          




Il y a une belle neige fine tombant sur ma ville. Une température idéale pour accueillir notre ami vêtu de rouge. Voici les majorettes, en vert et blanc, suivies d’un char avec des gros bonshommes de neige entourés de ballons multicolores. Voilà Goglu le bouffon, avec des cannes sucrées géantes sur son char, puis des policiers à gros nez, Fifine la girafe et une immense poupée Chérie avec sa robe orangée. Après les brigadiers d’école, voici le lapin Serpolet et enfin Davy Croquette – Marcel passe près de s’évanouir – puis Peter Pan, un bouffon en habit bariolé et les cadets de Shawinigan. Voilà Patapouf ! Avec Porcinet le cochon, le Petit Poucet (avec ses bottes des sept milles), Simplet, Mickey la souris, Bambi et d’autres brigadiers. Il y a aussi la philharmonie de l’école de La Salle qui joue de la belle musique de fanfare. Voici une autre girafe – elles sont très à la mode, cette année – puis un char avec une princesse et son château. Bonjour, Jumbo l’éléphant ! Et, enfin, le père Noël ! Johanne crie en sautillant, alors que grand-papa Roméo grimpe Marcel sur ses épaules.         



« Oh ! Oh ! Oh ! » dit-il. Le père Noël s’exprime ainsi quand il se sent content. Il nous envoie la main en riant de plus en plus. Il me semble en pleine forme ! Ses belles joues rouges, sa longue barbe, son nez rond, ses petits yeux. Dans ma lettre, je lui ai demandé de prendre soin de sa santé, car selon maman, lorsqu’on est corpulent, il y a du danger pour une crise du cœur. Autour de lui, des lutins pigent des sacs de bonbons dans des grosses poches et les lancent aux enfants sages. Je tends les mains ! En vain ! Je n’attrape rien ! Je cours au devant, puis aperçois un sac par terre. Vite, je m’y précipite ! Mais un pied l’écrase et une main le ramasse.         




« Gladu ! Qu’est-ce que tu fais là ? C’est mon sac de bonbons ! Je l’ai vu avant toi !         

- Non, espèce de Comeau crotte de cheval.         

- T’as pas affaire ici ! C’est une parade pour les enfants sages !         

- T’es donc niaiseux, Comeau ! Tu crois encore à ces affaires-là ? Le père Noël, c’est pour les bébés, mais les bonbons, c’est pour moi ! Débarrasse le plancher, plein de crottes de gorille ! »         




Comment le père Noël peut-il tolérer un tel énergumène pendant sa parade ? Oh, je sais bien que le père Noël aime tous les enfants, mais Gladu est un monstre. Pas la même chose ! Essayant de retrouver tante Patate et grand-papa, je croise Daniel avec son père. Il en a long à raconter sur la parade. Nous nous retrouverons ce soir chez lui pour échanger nos impressions en compagnie de Junior et de Richard. Près du magasin Fortin, le père Noël offre un dernier discours, rappelant aux enfants la nécessité de demeurer sages s’ils veulent obtenir la bonne livraison le soir du 25 décembre. Tu parles que je le sais ! Mais je suis toujours sage ! Si simple avec le père Noël : tu es sage et hop ! tu as un cadeau ! Le tour est joué !

 

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posté le 07-12-2021 à 23:09:47

La visite des anges

 

 

PRÉSENTATION


Voici un texte inédit, basé sur le personnage vedette de mon roman Les Bonnes Sœurs (L’amour entre parenthèses) publié en 2013. Cette fiction servait surtout à démontrer que les religieuses, malgré certaines contraintes dans leurs vies, étaient aussi des êtres humains, avec des émotions. L’idée des élèves se déguisant en anges pour distribuer des menus présents aux fillettes n’est pas une chimère de romancier : cela existait dans plusieurs couvents. Un texte entièrement féminin, pour un Noël peu connu.   

 

 

 

8 - LA VISITE DES ANGES (1946) 



De la ouate, des petites étoiles scintillantes, beaucoup de papier coloré : sœur Marie-Aimée-de-Jésus dépose ces menus achats sur le comptoir de la caissière, face à l’employée étonnée de voir une religieuse sourire aussi généreusement. « Mais oui, madame, une sœur peut aussi sourire! Surtout pour la préparation de notre Noël 1946. »

 

 

La congrégation n’est pas cloitrée, mais il ne faut jamais sortir sans permission motivée, puis ne pas demeurer longtemps à l’extérieur. Cependant, même si sœur Marie-Aimée-de-Jésus sait que la révérende mère a les yeux surveillant son horloge, elle se permet de tricher, comme, par exemple, pour regarder une vitrine. « Belle robe, même si le modèle manque d’humilité. Par contre, porter des chaussures avec de tels talons minces et pointus… jamais je ne pourrais! Et la vitrine voisine ? Oh, le père Noël. Ils ne mettent jamais bébé Jésus en vitrine, même si nous fêterons son anniversaire de naissance. Quelles jolies poupées! Les jouets me paraissent de plus en plus merveilleux. »

 

 

Noël dans un couvent a beaucoup changé, depuis vingt années, lui a raconté l’ainée des converses. Sœur Marie sait qu’elle est responsable de quelques modifications, sous prétexte de faire croitre la confiance des élèves de l’école en leurs enseignantes, puis de créer un climat serein, idéal pour poursuivre leurs études en janvier. La femme ne pense que pédagogie et ses supérieures admettent qu’elle excelle dans le devoir de faire progresser le niveau de l’enseignement. Cependant, il y a un aspect qui l’attriste : que les trois jours de congé autorisés ne concordent pas avec le choix des parents. Il faut cependant admettre que certains pères et mères demeurent très loin. Les règles de séjour sont allégées jusqu’au retour en classe et les sœurs mettent tout en leur pouvoir pour que les pensionnaires gardent un tendre souvenir de ces jours. Pour cette année, il y aura six pensionnaires jeunesse et cinq fillettes. Quatre de ces dernières savent ce qui les attendent, ce qui ne les empêche pas de rêver à ce moment où les grandes, déguisées en anges du Paradis, entrent dans le dortoir comme un si doux mirage, pour distribuer des sourires, des petits présents. Ces grandes ont vécu tant de beaux moments lors de leurs jours de jadis, en cette occasion, qu’elles se sentent ravies de devenir de anges. Sœur Marie-Adorée-de-Jésus l’a vécu, bien qu’à cette époque, pas si lointaine, les anges n’avaient pas le droit de se déplacer pieds nus. « Des anges avec des chaussures, ça ne fait pas sérieux », avait avoué l’incorrigible religieuse aux autorités, ne pouvant s’empêcher de dessiner un sourire discret face à l’audace de leur gentil mouton noir.

 

 

« Voici les petites étoiles réclamées, mademoiselle Arcand.

- Merci, ma sœur. Elles sont jolies.

- Je trouve votre idée de coller ces minuscules aux étoiles plus grandes est excellente. Vous êtes créative, mademoiselle Arcand.

- Vous aussi, surtout quand vous ouvrez des parenthèses au cœur de nos leçons. »

 

 

Même les demoiselles qui ne seront pas présentes lors de l’événement participent à la création des éléments de décoration, ainsi que les petites, qui dessinent des animaux, fières de savoir que leurs œuvres vont égayer la salle de récréation, jusqu’aux premiers jours de la prochaine année. À chaque messe matinale, les élèves ont tendance à vouloir regarder de près la crèche aménagée dans la chapelle. Elles admirent le visage de la sainte Vierge, même si elles se disent certaines qu’un bébé naissant tel Jésus ne devrait pas autant sourire. Les sœurs ont préparé une surprise dont les jeunes ne se doutent pas : la messe du 25 n’aura pas lieu dans le temple, mais dans une classe, qui sera aménagée par le chapelain et par le concierge du couvent.

 

 

 

Les religieuses savent que voilà dix années, Noël était consacré à la piété seulement. Bien sûr, cet aspect demeure important en cette journée, mais ce que toutes préparent pour les enfants les ravit profondément, comme un écho adulte de leurs jours où le 25 était à la fois un grand événement religieux et aussi profane, au sein de leurs familles. Elles ne se mettront pas à giguer au son d’un violon manié par un oncle turbulent, mais la chorale a préparé des chants folkloriques recommandés par le bon abbé Gadbois et ses cahiers de la Bonne Chanson, et qui seront un écho à leurs jours de fillettes. Se raconter des souvenirs sera certes présent après les repas, d’autant plus que le silence ne sera pas de rigueur dans la cafétéria. Pour leur part, les sœurs converses se vantent à toutes que les repas seront un péché mignon et que les friandises destinées aux enfants deviendront source de  bonheur.

 

 

« Ma sœur, ma robe d’ange est un peu serrée.

- Vous avez engraissé, mademoiselle Thivierge ?

- Ma sœur… tout de même…

- Demandez à nos apprenties couturières de faire des ajustements. Vous devriez le savoir, non ? Pourquoi me demander une telle chose ?

- Pour vous voir sourire, ma sœur, et peut-être vous entendre ouvrir une parenthèse. »

 

 

L’excitation s’empare en douce des six élèves appelées à jouer les anges. Rappel à l’ordre, mesdemoiselles! « Comme le père Noël, votre rôle consiste à rendre les enfants heureux. » La révérende mère a été informée de cette phrase de sœur Aimée-de-Jésus. En temps normal, il y aurait eu rencontre et discussion, mais à l’approche du moment espéré, il vaut mieux ne pas créer de vagues. L’enseignante croit que la révérende ne connaît pas trop la mission du gros barbu vêtu de rouge, croyant qu’il est un employé au service des grands magasins, qui profitent de la Nativité pour s’enrichir. Lors de la messe de minuit, ils pensent à Jésus pendant cinq minutes et regardent leurs  montres le reste du temps, pressés rentrer à la maison pour manger de la tourtière, boire de la bière et aboyer des chansons à répondre avec des passages vulgaires.

 

 

« Le plus beau cadeau de Noël de mon enfance ?

- Ne me dites pas une orange dans un bas accroché à une cheminée.

- Non, mademoiselle Arcand, car en fait de chauffage, nous… heu… Vous devinez la suite! Eh bien, j’avais reçu une poupée de chiffon, confectionnée avec soin par ma tante Eugénie, l’artiste de la parenté. Je l’ai gardée très longtemps.

- Pour ma part, c’était un chat de peluche. J’aime tant les chats.

- Vous avez vu le dessin de chat créé par une de nos petites ? Les enfants aiment tant les animaux.

- Vrai, sauf le chien de la famille Lajoie, prêt à dévorer tout ce qui passait sur le trottoir.

- Un chien diabolique ! C’est bien, votre coiffure, mademoiselle, mais je ne sais pas si dans le ciel de Dieu, les anges sont autant peignées à la mode terrestre.

- Oui et elles dansent le boogie woogie. »

 

 

Tout semble prêt! Le concierge et le chapelain ont sorti tous les pupitres de la salle de classe et ont accroché des décorations dans chaque coin. Les religieuses prient avec ferveur en attendant de guider les anges et de penser à la joie des petites, sachant que leur messe de minuit aura lieu demain à neuf heures trente. Après la dernière prière, les sœurs se lèvent, pensent à la poupée de jadis ou aux oranges et pommes. Les femmes rejoignent les anges, nerveuses. « Vrai que mademoiselle a engraissé… » pense sœur Marie. Les religieuses d’expérience ouvrent la marche. Tout près, les demoiselles allument leurs chandelles, alors que la révérende mère entrouvre la porte. Un soupir est suivi d’un Ooooo et, bientôt, les fillettes sont éveillées, se frottent les yeux, ne reconnaissant pas leurs aînées, certaines que ce sont de véritables anges descendues du Paradis. Heureuse, sœur Marie-Aimée-de-Jésus joint les mains en voyant les petites sortir, avec leurs guides ailés.

 

 

Les anges chantent les louanges de Jésus, tout en marchant vers la salle de classe, illuminée. Les petites regardent les décorations, tournant leurs têtes en tous sens. La révérende distribue les petits cadeaux : des images pieuses, mais aussi des cahiers à colorier, des cartes postales avec des paysages enneigés, des poupées miniatures, des chapelets, avant de passer au goûter : des biscuits au chocolat et des verres de lait. Puis il faut retourner au lit, les fillettes bordées avec affection par les anges. Pourront-elles dormir ? La nature et la fatigue triompheront. Demain, après la messe, il y aura un bon repas, puis une longue récréation dans la neige, mais sœur Marie se dit certaine que la plupart des récompensées examineront leurs cadeaux en pensant à cette vision de voir entrer des anges dans leur dortoir. Plus tard, devenues femmes et mères, des parents leur demanderont leur plus beau souvenir de Noël. Un cadeau ? Une nuit à danser et chanter ? Non : les anges dans un couvent et la nuit de Noël 1946

 

Tags: #religion
 


 
 
posté le 06-12-2021 à 20:49:02

Noël au Palace

 

 

PRÉSENTATION

 

 

 Mon texte Le roi des cadeaux a ceci de particulier : à l’origine, il s’agissait d’un travail universitaire en histoire, que j’ai par la suite transformé en roman. À Trois-Rivières, fin 1929, deux commerçants ouvrent une salle de cinéma du nom de Palace, située au cœur d’un quartier ouvrier, ignorant que la crise économique naissante allait jeter au chômage une grande partie de leur possible clientèle. Près de la faillite, les hommes font appel à un spécialiste de Montréal, Alexandre Sylvio, réputé pour remettre sur rails les salles en difficultés. Se surnommant « Le roi des cadeaux », l’homme fait appel à cent trucs populistes pour attirer les gens au Palace, aidé par son jeune assistant, Eddy Gélinas. Un des secrets de Sylvio : engager une troupe de vaudeville. Pendant près de deux années, ce sera la lutte incessante pour la survie. Les personnages que vous croiserez dans ce texte ont tous réellement existé. Je n’ai qu’ajouté des fantaisies de romancier comme décor.Une autre initiative de Sylvio : inviter le père Noël, cela fin novembre 1931. C’était alors une grande première. Je n’ai jamais croisé la chose dans un autre cinéma. Le but, en attirant les enfants, était de rendre le Palace sympathique à leurs parents. Organisation avec les moyens du bord et grande nervosité de monsieur Sylvio, alors que ses collaborateurs semblent calmes. 




7 -  NOEL AU PALACE (1931) .       

 

 

« Des bonbons ? Des petits jouets ?        

- On va avoir la visite du père Noël, mon Eddy.        

- Et l’autorisation de faire entrer les enfants ?        

- On ne présentera pas de vues. Le Palace devient alors un lieu comme un autre. On va aussi faire une crèche vivante. Un ouvrier va passer pour ça.        

- Qui tiendra le rôle du père Noël, mon cher Alex ?        

- Ti-Clain fera l’affaire. Toi, je te vois en saint Joseph, dans la crèche.        

- Et qui sera ma tendre épouse Marie ? Pas Germaine, tout de même! Maude, sans doute.        

- Ça nous prend une vierge. Ta blonde fera l’affaire. À moins que tu…        

- Ça ne te regarde pas. Je vais lui demander, mais je pense que ça va trop la gêner.  »        

 

 

Germaine se sent mal à l’aise avec cette idée d’Alexandre. Elle n’est pas habituée au public enfantin et se demande quel rôle elle pourrait tenir. Une fée, allons donc! « Moé, une fée ? Avec mes grands’ dents ? Ouistiti! M’as vas leur faire peur, à ces kids! » Comme suggéré par Alex, Ti-Clain sera le gros bonhomme rouge, puis Maude son assistante. Ti-Phonse deviendra un bouffon, lui qui connaît des tours de magie. Alex rappelle à la troupe que si les enfants les aiment, les parents seront contents et viendront plus souvent au Palace.



L’homme a toujours trouvé ridicule cette loi d’interdire l’entrée aux moins de seize ans. Pour les occasions exceptionnelles, il faut des heures et des heures de négociation avec le clergé, qui ne se prive pourtant pas pour montrer des films sur les missions dans les salles paroissiales. Il y a beaucoup de productions qui pourraient plaire aux enfants, comme les dessins animés.

 

 

« J’ai entendu parler de ça, monsieur Sylvio.        

- Ah! S’il y a des rumeurs qui circulent dans le quartier, c’est une preuve que vous tenez au Palace ou qu’un membre de notre troupe talentueuse a été incapable de tenir le secret.         

- Vous avez un petit Jésus ?        

- Une très belle poupée gracieuseté du grand magasin Fortin. Je vais l’offrir en tirage le lendemain soir.         

- Ma belle-sœur pourrait vous louer son bébé de deux mois pour pas très cher.        

- Madame, je vous jure que c’est la première fois de ma carrière qu’on me propose une location de bébé.        

- Un bébé vivant pour le petit Jésus, ce serait bien mieux qu’une poupée.        

- Allons rencontrer votre belle-sœur. »

 

         

 

 

 

Alex pense que la pauvreté mène à tous les extrêmes. La jeune maman négocie la location à la hausse d’une façon féroce et soudain, Alexandre se sent ridicule d’entrer dans son jeu. Pire que tout : le poupon ne rencontre même pas l’exigence première pour devenir un Jésus : c’est une fille. « Si Dieu voit ça, le sort du catholicisme pourrait être modifié », de penser le patron du Palace en ricanant.

 

 

De retour à la salle, il surprend les comédiens en répétition pour préparer ce samedi des petits, pendant que Carole et Eddy remplissent des sacs bruns de friandises et de jouets à un sou. Dans certains cas, ce sera le seul cadeau que ces chérubins verront à Noël.

 

 

« Je t’ai trouvé un véritable enfant Jésus, Carole.

- Sans blague, monsieur Sylvio ? Un vrai bébé ?

- Il s’appelle Louise. Dix piastres pour un après-midi de travail! Y a des femmes qui ne touchent même pas ça en une semaine dans une usine!

- Un petit Jésus fille! Mignon!

- Et qui va regarder ça, à bien y penser ? Cette crèche-là, c’est juste pour faire taire le curé, pensant que le père Noël est un yankee amoral vendeur de Coke. »

 

 

Les enfants du quartier se demandent toujours ce qui se passe dans cette salle quand leurs parents, le lendemain d’une soirée, parlent avec enthousiasme de Ti-Pit et de Fifine. À eux seuls, ces noms attisent leur imagination. Certains se vantent de connaître Fifine personnellement, car Germaine ne rate pas une occasion de se rendre boire une tasse de thé ou un verre d’eau chez certaines ménagères des alentours. Les adultes parlent peu des films. Les enfants ne connaissent du cinéma que les affiches sur les devantures des quatre salles de la ville. Certains de quatorze ans, plus grands que la norme, passent facilement au Palace, en portant des bas de soie ou un chapeau, jouant maladroitement à devenir vieux pour tromper le regard amusé d’Eddy. Pour ceux-là, le père Noël, c’est de la bouillie pour les chats, même s’ils vont accepter avec empressement le sac de friandises. Les petits piaffent d’impatience afin d’entrer dans ce milieu magique.

 

 

« Batinse, Ti-Clain! Regarde-toi l’allure!

- C’est parce qu’hier soir, j’ai rencontré un spectateur qui m’a invité à prendre une bière dans un grill pis…

- Je ne veux rien entendre de plus! Un père Noël qui prend une brosse!

- J’ai un déguisement. Ça ne paraîtra pas. Oublie pas, Alex, que chus un comédien.

- Monte à la maison te débarbouiller la face, au moins!

- Correct… Correct… Mais ne crie surtout pas… 

- Quand je pense à ça… Eddy! À l’arrives-tu, la jeune maman ?

- Je ne sais pas, Alex.

- Un père Noël saoul et un petit Jésus en retard! »

 

 

 

Eddy ne se sent pas trop préoccupé par les problèmes de son patron. Tout finit par survenir à temps, dans les salles de cinéma. Le jeune homme n’a de regard que pour sa Carole, étincelante dans son costume de sainte Vierge. Par contre, Germaine sent qu’elle a l’air ridicule dans son déguisement de fée, surtout qu’il a été glané par Maude dans un bazar et que la Française l’a rehaussé d’une baguette de carton, au bout de laquelle Ti-Pit a collé une étoile de fer blanc peinte à toute vitesse en jaune dégoulinant. « Chus la fée cheap! Avec un coup de bayette magique, je transforme un char de l’année en bazou de 1911 », explique-t-elle à Maude, pas trop à l’aise non plus dans son costume. Les lutins Ti-Pit et Ti-Phonse n’ont pas de telles inquiétudes, car un lutin est nécessairement amusant dans l’imaginaire enfantin.

 

 

« Batinse, Ti-Phonse! Un lutin qui roule ses cigarettes!

- Du calme, Alex! J’ai le droit de tirer une touche avant le début du show et… Qu’in! J’pense que le p’tit Jésus pis sa gardienne viennent d’entrer.

- Enfin! Mais où sont les autres ?

- Partis faire rire les enfants qui s’impatientent dehors.

- Vrai, ça ? Bon! En attendant, monte chez nous chercher le père Noël. Et s’il sent encore la robinne, je l’étrangle mille fois! »

 

 

Alexandre se sent flatté par les initiatives de ses comédiens. Après tout, ils auraient pu s’en laver les mains et attendre au chaud que les enfants entrent. De plus en plus, il sait que le succès du Palace leur tient à cœur.   La fée Fifine n’arrive pas à émerveiller les enfants, car le naturel reprend le dessus et Germaine se perd en grimaces, surtout que les mères accompagnant leur progéniture ont vite reconnu leur idole. Elles n’ont sans doute jamais vu une fée donner un coup de pied au derrière du lutin Ti-Pit, mais au Palace, tout peut se produire. « Qui c’est qui va donner des cadeaux aux tit’s z’enfants ? » de demander la fée, en sursautant sur place. Germaine éclate d’un rire incessant en attendant la réponse inattendue : pas le père Noël! « C’est Alex Sylvio, le roi des cadeaux! » Peut-être que, dans ce quartier, Alexandre est devenu un père Noël pour adultes.

 

 

« Oh! Oh! Oh! Regarde qui s’en vient!

- Ne ris pas comme ça, Ti-Clain! Tu vas leur faire peur!

- Alex, sacre ton camp! Tu me tapes sur les nerfs! Laisse-moé faire mon show pis occupe-toé du tien! »

 

 

Les fées et lutins placent tout ce petit monde sur les bancs des premières rangées. Cette opération semble perturbée par l’excitation, occasion idéale pour que le petit Jésus se mette à pleurer et que sa mère se précipite dans la crèche pour le tirer des bras de la sainte Vierge Carole. Aussitôt, un groupe d’enfants se lance pour voir la crèche. Après dix minutes de brouhaha, chacun se tient sage, ce qui n’empêche pas les petits de murmurer entre eux, en désignant les décorations du Palace où en pointant du doigt la fée Fifine, qui, avec ses grandes dents, ne ressemble pas du tout à celles des fables. Malgré son mal de tête, le père Noël réussit à émerveiller les jeunes demoiselles et leurs messieurs. Une fillette lui dit qu’elle ne veut pas de poupée, mais de l’ouvrage pour son père. Pour y arriver, le bon père Noël recommande des prières à l’enfant Jésus, face à la crèche, afin de satisfaire le vicaire observant attentivement tout ce cirque.

 

 

« Content, Alex ? Chus un professionnel.

- Bravo, Ti-Clain! T’as fait ta job comme il faut. Meilleur que les pères  Noël qu’on verra dans les magasins de la rue des Forges et…

- Torrieux que j’ai mal à la tête… » 

 

 

Les bonbons, gracieuseté de Fortin, ont été engloutis rapidement, alors que les flûtes de plastique, les ballons et autres petits jouets sont gardés précieusement. Le représentant du grand magasin à rayons a tout surveillé de près et félicite Alexandre et Eddy pour cette belle organisation. Il confirme que Fortin sera de plus en plus intéressé à collaborer avec le Palace.



Le soir même, il n’y a pas plus de spectateurs dans la salle et les comédiens y vont de leurs numéros. Pendant la projection du film, ils sont réunis en coulisse et rigolent en douce en revoyant les scènes loufoques de l’après-midi. « Faire plaisir à du pauvre monde pis à leurs jeunes, c’est le plus beau cadeau de Noël qu’on pouvait leur offrir. On a eu autant de fun que les enfants ! On n’est pas près d’oublier ça, mes chums ! »

 

Tags: #noêl #père
 


 
 
posté le 05-12-2021 à 05:56:44

Noël au centre-ville

 

PRÉSENTATION



Ce texte est particulier puisqu’il met en vedette deux personnages présents dans autant de romans différents. Bernadette Hétu provient de La Poudrée du centre-ville, une jeune femme de dix-sept ans, très sociable et amusante, dont l’activité principale est de flâner dans le quartier commercial de sa localité, parlant à tout le monde, sans cesse de bonne humeur. L’autre est Jeanne Tremblay, dans la vingtaine, artiste peintre de bonne réputation, mais beaucoup moins sociable. Les deux sont coiffées à la mode garçonne, portent maquillage et rouge à lèvres, des robes et jupes courtes et ne jurent que par la musique endiablée des États-Unis. Jeanne est présente dans plusieurs de mes romans, mais surtout dans Perles et chapelet, publié en 1999. Pour les deux, Noël a peu à voir avec la tradition ; c’est devenu une fête moderne et commerciale, régnant dans leur centre-ville.    

 

 

6 - NOEL AU CENTRE-VILLE  (1927) 



Bernadette remonte son col, car un vent sournois vient de décider de prouver sa supériorité. Les passants lui sourient, comprenant sa fantaisie de passer son temps à flâner au centre-ville au cours de l’été, tard le printemps et tôt en automne, mais, tout de même : en décembre, à deux semaines de Noël ? En cette journée, la jeune femme porte réellement son surnom de Poudrée, car la neige, mariée au vent, a décidé de remplacer son imposant maquillage. « Les arbres de Noël, les décorations, tout ça est bien beau et divertissant dans nos maisons, mais ceci devient étincelant dans les vitrines de nos grands magasins et même dans celles de plus modestes commerces. L’an dernier, j’avais vu une petite fille d’environ quatre ans, hypnotisée par une poupée exposée. Il y en avait plusieurs, mais l’enfant en regardait précisément une seule. Le rêve de sa vie! Sa mère lui tendait la main, pour l’inviter à la suivre. Sourde oreille et quand maman a insisté en l’entraînant près de ses jupons, la pauvre avait hurlé, tant pleuré. Des témoins trouvaient ceci drôle et d’autres pensaient que c’était émouvant. Je m’étais approchée en lui chantant « Allô ! », me penchant vers elle, sortant de mon sac à main une friandise aux fraises. Cela l’avait consolée et je devenais encore meilleure que le père Noël. Je m’étais éloignée en dansant, pour la faire rire, mais plus tard, j’en suis certaine, elle pensera encore à la poupée de la vitrine. Brrr… froid en titi! Je crois que je vais me rendre au casse-croûte Régal, pour me réchauffer avec une bonne tasse de café. »  En entrant, Bernadette a la surprise de voir Jeanne Tremblay, boudeuse. Une artiste peintre de grand talent, qui adore les vedettes de cinéma, les disques de jazz et les impolitesses tordues. Une exception dans le paysage sans surprise de celles de son âge.

 

 

« Allô, Jeanne! Froid, n’est-ce pas ?        

- Salut, Poudrée. Froid en diable. Je serais bien demeurée chez moi, dans mon lit.        

- Le devoir, avant tout!        

- Tu sais, le devoir et moi… Je te paie un café ? »

 

 

Au cours de cette année 1927, Jeanne a fait quelque chose hors norme, dans son univers créatif personnel : elle a dessiné et peint pour autrui. L’idée ne venait pas d’elle, mais de son frère Roméo. L’homme lui a demandé de fabriquer des cartes de souhaits relatives à Noël, promettant un investissement financier pour en imprimer deux cents, lui promettant de l’aider à les vendre, en décembre. La jeune femme ignore pourquoi elle a accepté. Peut-être parce que Roméo s’est toujours montré bon à son endroit.         

 

 

Jeanne a terminé l’hiver et débuté le printemps ensevelie sous des croquis, ne sachant pas quoi choisir pour transformer sérieusement les dessins en cartes, sans oublier qu’elle a aussi promis des tableaux de chaque modèle. Jeanne a fait rire Bernadette en lui révélant qu’en juin, elle peignant des scènes enneigées, installée dans la cour de la maison de son frère, en maillot de bain.   « J’ai passé l’année entière sous la neige. »

 

         

 

 

Bernadette envie l’inspiration et le talent des artistes, dans tous les domaines, mais particulièrement dans la musique jazz et le cinéma. Jeanne lui a déjà prêté des disques formidables et l’avait invitée dans le grenier de la maison de Roméo. Un véritable atelier de peintre, avec une toile en cours sur un chevalet, des papiers d’esquisses en grand nombre sur un petit bureau. La jeune femme avait tant arrondit les yeux que Jeanne n’avait pu s’empêcher de dessiner illico son visage. Jeanne n’aime pas trop Noël, à cause des traditions vieillottes. Voici deux années, elle avait causé un scandale lors du réveillon familial en se mettant à danser le charleston au son d’un disque criard. Dans son esprit, il y a des gens qui offrent des cadeaux par intérêt. L’employé à son patron. Le patron à l’employé. En réalité, ces deux là se guettent comme chat et souris toute l’année. Et les commerces proposent des soldes incroyables! Tellement incroyables qu’elle a de la difficulté à le croire. Or, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est ce Noël qui intéresse la jeune Tremblay. Il est urbain!  Il bouge! Fou! Il ment!  Un peu hypocrite, mais elle lui pardonne.

 

 

Les cartes de souhaits ont été prêtes en octobre. Jeanne croit que Roméo va perdre beaucoup d’argent dans cette aventure, car on ne peut vendre de tels menus objets à fort prix. Roméo en a distribué dans plusieurs boutiques de la ville et a trouvé trois engagements dans des grands magasins, afin que sa sœur puisse présenter ces créations au public. Cela ne l’intéresse pas du tout, mais après deux occasions, elle s’est sentie surprise de tant sourire aux gens, de parler des sujets des cartes. « Ce qui m’aide, ce sont les versions peintures des dessins des cartes. Regarde bien, Poudrée. »

 

 

Jeanne sort d’un sac un tableau présentant des enfants qui jouent autour d’un bonhomme de neige, devant une maison décorée de lumières scintillantes, le tout dans un décor de la campagne. Bernadette joint les mains et dessine un O avec sa bouche. Jeanne croit que les excès de sa jeune amie la font ressembler à une fillette.

 

 

« Les cartes sont en noir et blanc, comme tu le sais, mais la peinture est en couleurs. Ceci impressionne les gens et les incite à acheter les cartes, parfois en quantité appréciable. Cela me surprend beaucoup.

- Est-ce que tu vas vendre les tableaux ?

- J’en ai déjà écoulé trois, mais je vais les livrer le 24, car j’en ai besoin d’ici ce moment.

- Est-ce que tu as des cartes dans ton sac ? J’aimerais les revoir. »

 

 

 

On y croise, outre les enfants avec leur bonhomme de neige, un couple de vieillards heureux, une famille s’en allant à la messe de minuit en carriole, le petit Jésus dans son étable avec sa paille, ses parents et un bœuf imbécile, puis d’autres petits regardant des boîtes enrubannées, à genoux devant un arbre, sous le regard attendri d’adultes. Les sujets ne sont guère différents de ceux vus sur des cartes commerciales, mais la façon de les présenter, avec des rondeurs, du noir qui semble éclatant et du blanc qui paraît scintiller. Cette méthode rend  les cartes uniques.

 

 

« Est-ce que tu vas encore faire ceci l’an prochain ?

- Mon frère aimerait bien, mais je ne sais pas trop. Cela me retarde dans la création de mes vraies peintures, qui sont davantage modernes. Je n’ai cependant pas déchiré les esquisses rejetées. Je verrai à ceci plus tard. Parfois, je me sens marchande, au lieu d’être une artiste.

- Tu sais, Jeanne, si ceci fait plaisir aux gens, tant mieux. Noël sert aussi à cela.

- J’ai pensé à une telle chose, depuis ces après-midis dans les grands magasins. Tu veux m’accompagner ? Aux Bons Achats, on m’a préparé un petit kiosque avec des lumières, des boules colorées, des guirlandes, toute la panoplie.»

 

 

Jeanne remarque jusqu’à quel point sa cadette semble danser à chacun de ses pas, comme elle paraît tout le temps en mouvement, avec sa tête, ses mains. Au casse-croûte, Bernadette faisait tourner une cigarette de Jeanne autour du cendrier. De plus, on la salue sans cesse, comme si cette petite faisait partie du folklore du lieu. Puis elle arrête promptement, pointant du doigt une vitrine avec une jolie robe, entourée de rubans. « Je l’aurais trouvée belle en octobre, mais parce qu’on a ajouté tous ces ornements, elle devient davantage merveilleuse. »


La Poudrée lui montre le seul commerce avec une crèche en vitrine : la librairie. Comme si Noël se séparait en deux parties inégales : la religion d’une part, et les festivités dans une plus grande part. Aux Bons Achats a réservé une belle place à Jeanne : dans l’entrée, face aux portes. Un autre commerce a exigé un pourcentage sur la vente des cartes et un dernier lui déroule aussi le tapis rouge, sachant que la jeune femme est une peintre applaudie dans les grandes villes de la province et que son intention ne semble pas pécuniaire. La peinture est vite accrochée et les cinq cartes trouvent place sur la petite table. Un commis lui offre des courbettes polies, mais mademoiselle Tremblay dit froidement : « Une tasse de café, à trois heures. » Madeleine regarde précieusement les cartes.

 

 

« Je vais les acheter. Cela va faire plaisir à mes parents.

- Acheter ? Prends, prends, Poudrée. Mon cadeau non pas de Noël, mais d’amitié.

- Je n’ose pas.

- Prends ou je te renie. Par contre, il faut les emprisonner dans un sac. »

 

 

Bernadette s’éloigne à petits pas, regardant cette femme si belle, qui ne sourit guère, mais agite un crayon qu’elle tient entre ses doigts, prête à dessiner quand son instinct le lui ordonnera. Poudrée songe à sa propre pensée et visite tous les départements. En effet, ce fauteuil est superbe, mais il l’était quelques mois plus tôt, sans que la jeune fille ne le remarque. Noël rend encore tout plus beau. Un vendeur lui fait signe : « Pourrais-tu  passer au bureau de poste et m’acheter une dizaine de timbres ? » C’est ainsi que la jeune femme gagne quelques sous pour ses dépenses quotidiennes. Les hommes lui font signe plus que souvent parce que c’est agréable de voir une demoiselle aussi charmante de près. Les femmes le font pour aider. Souvent, le pourboire est plus important que le prix du petit objet acheté. Un vétéran de la quincaillerie la surnomme « Ma fille » parce qu’il est père de six garçons, dont trois sont mariés et  devenus papas d’autant de fils d’Adam. Aucune fille. La Poudrée sait quels gestes poser pour attirer les regards et son succès le plus apprécié est lorsqu’elle danse autour du poteau d’arrêt du terminus d’autobus. De retour au grand magasin, la jeune s’informe des ventes de son aînée. Jeanne montre deux doigts, n’ajoute rien.



Bernadette sent que le plus beau moment consiste à passer par le département des jouets. Les enfants qu’on y croise sont tous très jeunes, mais les mères qui achètent le cadeau de Noël à celui ou à celle à l’école le font avec leur cœur de petite fille. Le samedi, les élèves, en congé, semblent tant et tant présents dans ce coin du commerce que la direction envoie un commis pour les surveiller. Le joyeux Noël passe par le désir d’un jouet, d’un seul, alors qu’il y en a des dizaines autour.Bernadette s’enivre de tant de joie enfantine et une fillette lui lance : « Le père Noël, c’est toi! » Pas tout à fait, mais il n’est pas loin, cet homme qu’on ne remarque pas en le voyant de dos, mais de face, plus d’un se voit étonné par une longue barbe blanche. La jeune femme l’avait rencontré l’an dernier, au Régal, et l’homme, ancien mécanicien de la gare, lui avait dit qu’il fallait huit mois sans se raser pour en arriver à ce résultat. Près de devenir octogénaire, il travaille comme père Noël d’une manière touchante, autant pour les petits que pour leurs parents, se disant : « Celui-là, c’est le vrai de vrai! »

 

 

La Poudrée a fait le tour de tous les coins, salue et parle aux employés, distribuant les souhaits de bon Noël à tous vents et elle répond en chantant « Allô » et en déposant des baisers dans le creux de sa main droite, avant de les souffler chaleureusement. Elle pense qu’il est temps de changer de commerce et de rencontrer d’autres gens, de regarder les étalages de jouets. Elle passe saluer Jeanne avant son départ et a la surprise de voir la peintre agenouillée près d’un petit garçon, en fauteuil roulant, la carte de souhaits avec les enfants et le bonhomme de neige entre les mains, ainsi qu’un père Noël qu’elle lui a dessiné. Le jeune semble ému, mais pas autant que sa mère, les larmes aux yeux, serrant la main de Jeanne en la remerciant sans cesse. Puis ils s’éloignent et Jeanne demeure droite, avant de se tourner vers Bernadette pour lui dire : « À propos de ce que tu m’as demandé au Régal, je viens de prendre la décision : oui, je le ferai encore, l’an prochain. »

 

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