Quinze histoires de Noël

La fête du 19e siècle à aujourd'hui

posté le 17-12-2021 à 00:36:35

Noel au ciel

 

PRÉSENTATION


Comme dernier texte, voici une surprise, créée spécifiquement pour ce livre. Il présente un aspect peu connu de notre sujet. Il n’en faut pas plus pour que ceci me donne certaines idées…  

 

 

15 - NOEL AU CIEL (2022) 

 

 

« Bonjour, petit Jésus! Et bon anniversaire, ce soir! Moi, je dois me coucher avant le 25, car je suis trop jeune… À peine cent-vingt-deux ans. » Le fils de Dieu sourit, se penche, tapote la tête de ce chérubin. Il y a toutes sortes d’esprits habitant le Ciel, mais le garçon du patron ne peut imaginer plus charmante créature que les chérubins. Jésus pige dans sa poche, accomplit un miracle et en sort une sucette au chocolat, tendue au mignon. « Oh merci, petit Jésus! Toi, tu es vraiment bon! Et le chocolat, c’est bon pour moi! »

 

 

Le 24 décembre se déroule toujours ainsi, dans l’éternité. Tout le monde salue Jésus, lui sourit. Oh, pas tellement différent des autres jours, car comment ne pas aimer cet être hors du commun ? Avec ses qualités et ses… heu… particularités, que les humains de la Terre ne pourraient imaginer, pas même les plus savants théologiens. La vie éternelle est merveilleuse, mais lui faire face en compagnie de Jésus la rend Merveilleuse, avec une majuscule. « Salut, p’pa! Tout va bien ? Oui, j’ai fait ce que tu m’as demandé : passer rencontrer l’orchestre céleste pour les remercier leurs saints efforts et leur souhaiter bonne chance pour la fête qui suivra l’évocation de ma naissance terrestre, à minuit. » Dieu hoche la tête, satisfait. Jésus n’ose pas lui révéler sa pensée profonde : les harpes, le chant grégorien, les clairons, c’est bien joli mais pas tellement festif pour une célébration d’anniversaire. Il a déjà suggéré de la musique dansante et lui a fait remarquer que Michael Jackson lui-même lui a juré qu’il viendrait chanter et danser pour les invités, mais Dieu lui a rappelé que la musique de l’éternité n’a rien à voir avec celle des Terriens et des autres planètes habitées.

 

 

« Passe à table, mon fils.

- Avec joie, p’pa. J’ai une de ces faims! Qu’est-ce qu’on va manger ? Je… pas encore du jambon et du pain bénit !

- Fils, ne critique pas nos angéliques cuisinières dévouées. Il n’y a rien de plus sain que le pain bénit et…

- Je prendrais bien sept assiettes de frites et trente-six hot-dogs moutarde et…

- Jésus! Je t’en prie! »

 

 

Après le frugal repas, Dieu offre une coupe de vin de messe à son rejeton et les deux discutent des tâches de l’après-midi, dont la principale consiste à vérifier l’état des crèches des Terriens. Routine, routine… Jésus croit qu’il aura le temps de visiter ses parents de la Terre. « Bien sûr, c’est ton devoir et je suis fier de toi que tu en fasses mention. Marie et Joseph t’aiment sincèrement et ont beaucoup fait pour toi, au cours de ton enfance. » Le fils suggère aussi que son père devrait lui permettre un autre séjour sur Terre, ayant constaté que la foi a beaucoup diminué, au cours du vingtième siècle et que l’avenir s’annonce très sombre, à cause de l’institution de l’intolérance. 

 

 

       

 

 

 

« Avec ma notoriété, je passerais facilement à la télévision pour parler de ton message.        

 - Les téléspectateurs oublient ce qu’ils ont vu et entendu dès le lendemain.         - Les réseaux sociaux d’Internet, peut-être ? Je pourrais aussi utiliser un téléphone portable pour  communiquer davantage rapidement avec les fidèles et…        

- Jésus! Tout de même! C’est une invention de Satan!        

- Pourtant vrai… Puis, je pourrais me marier et nous serions deux pour transmettre ta sage Parole. Tu sais, les femmes humaines sont très attentives à ce que leurs semblables racontent.        

- Le fils de Dieu marié ? Allons donc… Les prêtres catholiques ne seraient pas contents.        

- P’pa, j’ai plus de 2000 ans et je n’ai jamais eu de blonde. J’avais pardonné à Marie-Madeleine et lui aurais certes demandé un rendez-vous romantique, mais tu n’as pas voulu.         

- Va à tes tâches et nous reparlerons de ceci plus tard. La veille de ton anniversaire de naissance ne représente pas le bon moment. Puis j’attends la visite du père Noël pour le renouvellement de ses pouvoirs. »

 

 

         

 

 

 

Très à propos, Jésus croise cet humain hors de l’ordinaire, qui a son importance auprès des enfants, mais ayant besoin de l’aide du Tout-Puissant pour distribuer tant de jouets en si peu de temps. L’an dernier, il avait en partie négligé le renouvellement de ses pouvoirs et était demeuré coincé dans une cheminée et des milliers de petits n’avaient pu recevoir les présents souhaités.

        

 

 

 

Jésus se presse vers son bureau afin de créer miraculeusement un hot-dog, car son repas du midi ne fut pas assez à sa convenance. Aux crèches, maintenant. « La France. » Zoum zoum zoum. « Pas de problèmes dans ce pays, même si certaines crèches sont vieillottes. Passons à l’Angleterre. » Zoum zoum zoum. « Very fine. Thank you, gentlemen. La Belgique, maintenant. » Zoum…  « C’est un très petit pays. Le reste de l’Europe ? » Zoum zoum zoum zoum. « De bonnes gens. P’pa sera content. L’Amérique ? Commençons par le Canada. » Zoum zoum… « Mais qu’est-ce que c’est ? Un avis d’interdiction de fumer accroché à ma crèche et… Quoi ? Qu’est-ce qui est écrit là-dessus ? Défense de prier à moins de deux mètres de la crèche ? P’pa ne sera pas heureux. Les États-Unis, maintenant. » Zoum zoum zoum z... « Bon qu’est-ce encore ? Accrocher le drapeau américain à la crèche ? En voilà une histoire! P’pa est la force de tous les peuples et pas seulement des Yankees! Pfff… » Quarante minutes suffisent. Il a trouvé cinquante-neuf cas douteux. Pas beaucoup, mais voilà à peine cent années, on n’en comptait que sept. « Il faut régler ce problème. Je dois absolument retourner sur Terre! En attendant, pour me reposer, je vais prendre un café. Angélique cuisinière : un café, s’il vous plait. Lait seulement. Dans ma tasse avec les fleurs roses. »


         

 

 

 

Jésus étire les bras, déguste, puis sort, se presse vers le nuage de ses parents terriens, qui doivent sûrement attendre sa visite. Il se souvient avec tendresse de cette fois où Joseph lui enseignait le métier de charpentier et que l’enfant s’était cogné sur les doigts avec un marteau. Et les bonbons aux fraises de Marie, donc! Beaux moments sur Terre, tout de même, avec sa bande de douze amis fidèles. « Par contre, la crucifixion, hein… Ouistiti que ça faisait mal… »


 

 

 

Marie joint les mains et Joseph ouvre les bras. Les parents lui ont acheté un cadeau de Noël. Ravi par cette délicatesse, Jésus ouvre lentement la boîte soigneusement enrubannée. « Une cravate neuve! Très belle! Pour vous remercier, je vais vous bénir. » Ils échangent gaiement sur le quotidien de l’éternité et l’enfant pardonne à son père qui se moque, sans trop de méchanceté, cependant, de cet ange qui a fait un face à face avec un joueur de harpe. « Les Séraphins sont si distraits. » Parlant d’ange, en sortant, une heure plus tard, le cœur de Jésus bat plus rapidement quand il voit l’ange Henriette, si jolie. Un petit miracle et hop : des fleurs pour la ravissante.

 

        

 

 

 

« Elles sont ravissantes. Je te remercie pour cette délicatesse, Jésus.        

- On a le temps pour un verre de jus d’orange au casse-croûte du nuage voisin ? On pourrait parler de la pluie et du beau temps.        

- Oh… Jésus… Je ne peux pas… Tu sais très bien que je suis l’ange gardien de ma mère. J’ai beaucoup de travail auprès d’elle en cette veille de Noël.         

- Demain, peut-être ?        

- J’en serais contente. »

 

        

 

 

Il y a différentes catégories d’anges. Les plus humbles ont d’imposantes occupations, mais celui d’ange gardien semble gigantesque, car il faut sans cesse être présent auprès de son humain et surveillé par les archanges, qui n’entendent pas à rire. Henriette s’envole, après un sourire, alors que Jésus soupire, joignant les mains. « Comme elle est belle! Elle ressemble à un ange. D’ailleurs, c’est un ange… » Immense soupir du Sauveur, mais interpellé par une violente interjection :  « Hé, gars! Comment va ? » Ça alors! Lucifer au Ciel ? Jésus le reconnaît, même s’il porte un masque lui cachant la moitié du visage.        

 

 

 

 

« Le coup des masques, tes serviteurs les politiciens l’ont réalisé avec éclat au débuit de la décennie 2000.         

- Une de nos meilleures réussites! Bonne fête, Jésus! Je viens te voir personnellement pour t’inviter à notre réveillon, à minuit, ce soir.        

- Tu sais bien que j’ai mon propre réveillon et que je préfère ne pas mettre les pieds dans ton enfer. P’pa me gronderait.          

- Ça un réveillon ? Avec de la harpe et du chant grégorien ? Chez nous, c’est le vrai de vrai party, avec des barils et des barils de bière, de téquila, de hot-dogs avec moutarde, comme tu les aimes. Point de vue ambiance, j’ai réuni les plus célèbres musiciens terriens décédés pour un super groupe heavy métal! Ça va rocker en démon!         

- J’aime bien la musique terrienne, comme les Beatles, qui étaient divins.        

- De la bouffe en masse, des danses, des jeux brûlants!        

- Tu sais bien que je ne peux pas.        

- Et des diablesses ravissantes prêtes à tout.        

- Heu… Heu…        

- Allez, quoi! Ne te fais pas prier.        

- Je n’ai d’amour que pour Henriette et je dois obéissance à mon père, créateur de l’univers, sauf du téléphone portable.        

- Ça va être hot, je te dis!        

- Désolé, Lucifer! Bien du plaisir pour ta bande et je te remercie d’avoir pensé à moi. »

 

          

 

 

Jésus soupire, sachant que ce pauvre esprit ne sera sans doute jamais sauvé. Le fils de Dieu flâne un peu et même s’il reçoit sans cesse des vœux de joyeux anniversaire de tous les anges croisés, il se sent seul. Puis il voit le père Noël, gonflé à bloc par le renouvellement de ses pouvoirs pour distribuer le bonheur aux enfants de la Terre. « Oh oh oh », lui explique-t-il, en lui tendant la main, ce qui signifie qu’en ce 25 décembre, les deux seront si importants pour les sujets humains. Jésus en profite pour caresser le petit renne au nez rouge, « Ah, comme il est mignon! » Puis il retourne chez Dieu, bien décidé à récidiver avec sa demande de retourner sur la Terre pour sauver tant de pauvres gens. Le Tout-Puissant désire avant tout connaître le résultat de l’enquête sur l’état des crèches.

 

 

« Regarde celui-là, p’pa. Un desservant de Rio, au Brésil. Il a fait commanditer sa crèche par un marchand d’automobiles usagées. Surveille au dessus du bœuf : de la publicité avec son adresse et l’annonce des spéciaux du temps des fêtes.         

- Très triste…        

- Je dois retourner là-bas, p’pa. C’est urgent.        

- Plus tard, plus tard. On doit penser à ton anniversaire, en ce jour. Tu sais que nous devons surveiller les messes, en soirée. Passons à table.        

- Qu’est-ce qu’il y a au menu ?        

- Du salami et du pain bénit. »

 

        

 

 

Hors les musiciens, plusieurs anges se préparent pour un rôle important, comme la chorale céleste, se pencher sur la nourriture et le comité de discipline dans le cadre de la fête. Eh oui, être un ange ne signifie pas tout le temps la perfection. Ne pas oublier le comité de bienvenue aux anges des lointaines galaxies. Les touristes doivent être bien reçus.

 

        

 

 

« C’était délicieux, n’est-ce pas ?

- Oui, oui…        

- Va prendre ta douche, fils. Tu te dois d’être impeccable, ce soir.        

- P’pa, j’ai pensé qu’on devrait inviter le bel ange Henriette, pour le réveillon.        

- Mais elle est un ange gardien. Beaucoup de travail pour elle auprès de sa mère, en ce jour important. »

 

        

 

 

 

Jésus se savonne abondamment, tout en chantant « Le sapin scintillant, la neige d’argent, Noël, mon beau rêve blanc, tra là là… Ah, comme c’est beau, les mélodies de Noël et… oups! La savonnette me glisse des mains… » Frais, bien disposé, le fils de Dieu se promène doucement dans le jardin miraculeux en rêvant d’Henriette, avant de rejoindre son père pour la revue de vérification des messes dans les églises de la Terre. Zoum… 

 

       

 

 

« Ah! Ah! P’pa, viens écouter ça! Le prêtre d’une église de Toronto a le hoquet!         

- Sois sérieux, mon fils.        

- C’est comique! Parions que ses paroissiens vont en parler pendant dix années de suite!        

- On ne parie pas au Ciel, Jésus. Sois concentré à ta tâche. »

 

        

 

 

La messe de minuit a, en ce lieu, a un sens unique, car célébrée par Dieu lui-même. Il y a des milliers d’anges pour écouter la sage parole. Partout sur les nuages, dans les coins les plus reculés de l’infinité, les anges vont célébrer dans la joie et le bonheur la naissance du fils du Créateur. Par exemple, dans la famille Dupont, constituée de cinquante-neuf membres décédés et ayant mérité le Paradis, l’ange patriarche va proposer une gigue au son de sa harpe. L’on chantera des louanges et l’on dansera. Certains anges se souviendront des réveillons de l’époque lointaine où ils étaient des humains. L’avantage des célébrations au Ciel est que les anges ne risquent pas une indigestion après l’absorbation de tourtières et de dinde.

 

        

 

 

« 5, 4, 3, 2, 1 : Joyeux Noël! Bon anniversaire, Jésus! Gloire à Dieu! Célébrons dans l’allégresse le moment où notre ami naissait à la vie terrestre par la voie de la Vierge Marie!  Chers chérubins, ne vous inquiétez pas, notre ami le père Noël va passer vous voir après sa tournée terrienne. » Dieu serre la main de son desservant, alors que Jésus monte dans la nef, souriant, saluant le public de la main. Voici enfin venu le moment du réveillon. Les harpes! Les trompettes! La chorale! Quelle splendeur! Jésus défile entre les anges du public, le sourire un peu forcé, mais seul son père remarque ceci. Les cuisinières ont préparé le vin de messe et le pain bénit pour les innombrables invités. Mais soudain, après la finale du dernier Alléluia, un harpiste troque son instrument au profit d’une guitare électrique, pendant que deux compagnons s’installent à la contrebasse et aux percussions. Une chanson des Beatles ? Jésus sent son cœur battre très fort, prêt à accompagner tous les anges frappant dans leurs mains, désireux d’exprimer sa joie.



Mais après la chanson, le Tout-Puissant réclame le silence et demande de diriger les regards vers le fond de l’assemblée. Des harpes se font entendre, alors que descend du ciel l’ange Henriette, tendant les mains vers Jésus. « Mes fidèles, je vous annonce que j’ai maintenant une collaboratrice importante en la personne d’Henriette et elle accompagnera Jésus pour un retour sur Terre, afin de propager la bonne Parole à tous les humains! » Les applaudissements nourris fusent pour accueillir cette bonne nouvelle. Jésus, les yeux pleins de larmes, tenant Henriette par les mains, confesse : « P’pa! C’est le plus joyeux Noël de ma vie éternelle! »

 


 

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Commentaires

 

1. johnmarcel  le 23-12-2021 à 03:31:38  (site)

Oh punaise ! Le Paradis serait-il moins ennuyant que je ne pouvais imaginer ?

Lucifer au Paradis ? Avant sa chute et son changement d'identite, quand il devint Satan, il etait le plus puissant des archanges...

2. MarioNoel  le 23-12-2021 à 05:56:14  (site)

Oui, mais il était camouflé avec un masque, hein !

Amusant à faire et l'idée de trotte en tête d'en faire un roman.

3. johnmarcel  le 23-12-2021 à 08:09:15  (site)

Oui, alors... d'apres certains theologiens, apres le jugement dernier, la vie au paradis sera comme avant, on bossera, on mangera, on ecrira des bouquins, on en lira, on ira en vacances, on fera des bebes, on ne mourra plus, y aura de la place pour tout le monde, pour l'eternite... tout ca en l'absence du mal qui aura ete plonge dans les flammes de l'enfer... pour les bebes, je me laisse peut-etre un peu aller... d'apres d'autres theologiens, les flammes de l'enfer sont la pour attenuer la douleur des damnes d'etre eloignes de la presence de Dieu...

4. MarioNoel  le 23-12-2021 à 08:31:53  (site)

On peut créer beaucoup de fantaisies avec ceci, ce que j'ai déjà fait avec un roman de témoignages de fantômes, revenant sur Terre après la mort de leurs corps humains, afin de revivre, chaque nuit, les moments terriens où ils ont été les plus heureux, dans un lieu spécirfique. C'est pourquoi dans l'autre site, je parle souvent du terrain fantôme, car il y a cent ans, c'était un terrain de baseball, mais qui, en obsersant, en a gardé la forme, malgré les transformations. Cette année, j'ai rencontré un homme de 89 ans me confirmant que ce fut un terrain de baseball car, petit, son père jouait en ce lieu pour l'équipe de son usine.
Dans ce livre, Dieu n'existe pas, car il s'agit d'un couple, Roger et Annette. Puis ces esprits sont accueillis par un gars bas du ventre, un rigolo du nom de Ti-Claude Saint-Pierre,

 
 
 
posté le 16-12-2021 à 05:48:44

Le petit renne au nez rouge

 

 

 

PRÉSENTATION



Une histoire qui n’est pas de ma création, mais plutôt mon interprétation et des modifications de ce qui est célébré et chanté à chaque Noël, depuis 1949. Il s’agit de l’année de la première présence sur disque de cette chanson composée par John Marks et interprétée par Gene Autry, sous le titre Rudolph The Red-Nosed Reindeer. La première version française date de 1951, par la formation de France des Sœurs Étienne. Cependant, tout laisse croire que la version québécoise présentait un court passage différent, à cause de la phrase « Il aimait prendre un p’tit coup. » Quoi qu’il en soit, je vous apporte ici un grand secret relatif à la vie du père Noël.

 

 14 - LE PETIT RENNE AU NEZ ROUGE (2017)  

 

 

 

« Attention, le patron approche! » Les lutins se pressent aussitôt près de la porte d’entrée de l’atelier. « Mes bons et dévoués amis. D’abord, je vous félicite pour votre ardeur au travail afin de fabriquer tous les jouets réclamés par les enfants du monde entier comme présents de la fête du 25 décembre, que je livrerai pendant la nuit de ce saint jour, qui a vu le fils de notre ami Dieu venir au monde, voilà longtemps, pour informer les populations de la splendeur de sa philosophie. Je vous apporte d’autres demandes, reçues ces jours derniers. Il nous faut 1,354 bâtons de hockey de plus, 3,019 de baseball, 922 jeux avec Mario Bros, 5,290 poupées, 3,509 animaux de peluche, chiens et chats. Je sais que le temps presse, tout comme je n’ignore pas que vous aimez les petits enfants autant que moi. Au travail, mes bons lutins! Ah, j’oubliais : j’ai aussi reçu 534 demandes pour un petit frère et 831 pour une petite sœur, mais ceci, vous ne pouvez le fabriquer. Oh oh oh! »        

 

 

L’homme siffle une chanson de Noël en se rendant rapidement à l’écurie de ses rennes, car le chef de ce lieu l’a demandé d’urgence. En entrant, le gros homme se sent estomaqué d’entendre tout le monde pleurer, autant les rennes que les employés. Le capitaine de l’équipe sort avec son supérieur, pour lui apprendre le décès du renne femelle Paulinette.

 

 

« Voici une triste nouvelle. Elle excellait et tous les autres rennes la respectaient… Et nous sommes à douze jours du moment des livraisons. Ah, je crois que Jovial pourra la remplacer.

- Pas assez sérieux, père Noël. À mon avis, la solution est Rudolph, le fils de Paulinette.        

- Mais il est très jeune, sans expérience. Ce n’est pas une promenade ordinaire que je fais, la nuit de Noël. Il faut de la résistance, de la discipline.        

- Rudolph s’est montré doué, lors des essais. Je me porte garant de son excellence pour cette mission. J’aurai le temps de l’entraîner davantage.        

- Eh bien, allons voir cette merveille. »

 

        

 

 

En approchant, l’homme à longue barbe blanche entend des pleurs continus, puis se rend compte que ce renne a un nez rouge. « Petit défaut de naissance », de souffler le patron à l’oreille du père.

 

         

 

 

« Bonjour, Rudolph. Je suis le père Noël et…        

- Bou hou hou! Maman est morte!        

- Mes condoléances. Tout le monde sait comme j’adorais ta mère. Aimerais-tu la remplacer, pour la livraison du 25 décembre prochain ?        

- Maman est morte! Bou hou hou!        

- Je vois… Je reviendrai demain et nous en parlerons calmement. »

 

        

 

 

Le père Noël rentre chez lui pour se recueillir devant les saints ornements que Dieu lui a donnés, désireux que le Divin accueille Paulinette dans son paradis pour les animaux. Son épouse l’accueille avec le sourire, lui révélant qu’elle a préparé de la crème glacée aux cerises pour le repas. Cependant, l’annonce de cette tragédie fait perdre la bonne humeur à la femme, désireuse de prier en même temps que son époux.


          

 

 

« Nous avons reçu du courrier, comme à tous les jours. Nos lutins secrétaires sont en train de compiler les demandes en catégories, selon leur bonne habitude.        

- Elles doivent avoir hâte aux vacances de janvier, ces braves et dévouées amies.         

- Un petit Africain a écrit qu’il désire de la neige comme cadeau.        

- Ah,  mais c’est une requête inédite dans la cadre de ma longue carrière. Oh oh oh!

- Allons manger, mon gros chéri, sinon ta crème glacée va fondre.

- Je prendrais aussi un verre de Coca-Cola. »  

      

 

 

Pendant ces heureux moments matrimoniaux, dans le domaine des rennes, les pleurs ont cessé et le fait que le père Noël ait approché Rudoph sème la colère des autres rennes, qui, jusqu’alors n’avaient pas fait mention, ou si peu, de la présence du nez rouge de Rudolph, alors que sa mère était vivante. « T’es passé à la taverne pour prendre une bouteille d’alcool de trop, le jeune ? T’as une boule de sapin de Noël à la place du nez! Sors et ton nez va faire fondre la neige du Pôle Nord! Ah! Ah! Ah! Nez rouge! Ah! Ah! »

 

         

 

 

Le bruit de ces bavardages attire le responsable, ordonnant aux rennes de se reposer, au lieu de mener tout ce tapage. « N’oubliez pas que lors de la nuit du 25, vous aurez besoin de toutes vos forces pour tirer le traineau  magique de notre bon père Noël. Alors, du calme! » Les rennes obéissent, mais chuchotent entre eux : « Si le père Noël attelle Nez Rouge, nous déclencherons uns grève! »         Le lendemain, madame Noël décide de passer par l’écurie pour caresser Rudolph et ainsi le réconforter dans l’épreuve de la disparition de sa maman. Elle remarque surtout que ce nez particulier est lumineux. Après son départ, les rennes recommencent leurs moqueries, jusqu’à ce que le responsable se fâche, les menaçant de ne pas leur donner leurs bonbons, pour le repas du midi.        

 

 

En retournant à la maison, l’épouse croise son  mari, marchant rapidement. « Mon adjoint de Montréal est malade et ne peut participer à ma parade, organisée par le grand magasin et je suis incapable de rejoindre son remplaçant. Alors, je dois m’en aller là-bas d’urgence, pour ne pas que les petits enfants pleurent en assistant à la parade du père Noël sans sa présence. Je serai de retour au début de la soirée. »

 

        

 

 

Le père Noël n’a pas le goût de rire en constatant que son attelage, sans la présence de Paulinette, semble beaucoup plus lent. Il songe que cela pourrait causer un problème lors de la distribution des présents aux enfants. « Cesse de rire, Jovial! Ce n’est pas drôle! Hue! » Les rennes sont étonnés : le patron de mauvaise humeur ? Quelle rareté!

 

         

 

 

Pendant ce temps, Rudolph demeure seul dans l’écurie, verse encore des larmes à cause des moqueries méchantes des autres. Mais soudan, une illumination magnifique le fait sursauter. Il regarde et voit une superbe demoiselle, avec une baguette au bout des doigts. « Je t’ai entendu pleurer dans le noir. Pauvre petit renne au nez rouge! Pour te consoler, viens au Paradis, ce soir. Je passerai te chercher dès que le soleil sera couché. Je m’appelle Denise, une fée. Pauvre enfant… »


 Après la disparition de la jolie fée, Rudolph sourit largement, pensant que sa mère est obligatoirement au paradis et qu’ainsi, il pourra la revoir. La fée tient sa promesse. Elle s’installe sur le dos du renne, donne un coup de baguette magique et hop : le Paradis!

        

 

 

Quelles splendeurs! Tout parait si magnifique! Surtout le vert des arbres. Rudolph, né au Pôle Nord et n’ayant rien connu d’autre n’aurait pu imaginer une telle végétation! Il voit toutes les races d’animaux, dont l’apparence de certains lui fait peur,  mais qui semblent vivre en harmonie. « Il y a un autre Paradis, où vit Dieu et parmi des humains décédés, qui sont devenus des anges magnifiques. Notre Seigneur a créé celui-ci pour les animaux seulement. Je sais que tu rêves de revoir ta maman. Allons-y! »

        

 

 

Denise ne peut s’empêcher de créer un mouchoir d’un coup de baguette, afin de sécher ses yeux remplis de larmes de bonheur en voyant le jeune renne se presser vers sa mère. « Je suis ici parce que je fus une bonne bête, que j’ai aidé notre Maître le père Noël à rendre tant d’enfants heureux. Je sais que tu feras la même chose et qu’à la fin de ta vie, tu me retrouveras ici pour l’éternité. Je t’attendrai, fils. Cependant, laisse-moi te donner quelques conseils maternels dont le principal est de toujours te montrer bon et d’aimer et respecter le père Noël. » Autres larmes féériques quand Paulinette chante une mélodie à son garçon, recroquevillé contre sa chaleur.

         

 

 

 

Le temps a passé si rapidement! Rudolph retrouve son écurie, rempli de confiance face à l’avenir. « Merci, gentille fée, pour ces instants précieux. » Elle sourit avec ravissement. « Appelle-moi Denise, en toute simplicité. » Les autres rennes dorment, semblent exténués. À toute vitesse,  le père Noël raconte ce séjour à Montréal à son épouse, surtout pour évoquer les enfants rencontrés. Il le fait si vite qu’à la fin de ce compte-rendu, il semble autant exténué que ses rennes. « La présence de Paulinette a manqué. Tout me semblait sombre… Il faut la remplacer rapidement, car le temps de la prochaine mission approche. Je crois que je vais boire un bon thé glacé et me coucher. » Soudain, elle lui souligne qu’en matinée, lors de sa visite à l’écurie, elle a remarqué comme le nez rouge de Rudolph semblait scintiller dans l’obscurité du lieu. Le père Noël se redresse. « Tu as raison, chère épouse! Demain, Rudolph travaillera pour moi. Nous avons le temps pour quelques essais avec mes fidèles rennes. Ce nez rouge pourrait nous éclairer, nous faciliter la tâche. Que serais-je sans toi ? »


Avant de passer à l’écurie pour rendre compte de sa décision, le père Noël arrête à l’atelier pour informer ses lutins des récentes demandes de courrier : 8,312 automobiles téléguidées, 648 petites tablettes informatiques, 4,532 cordes à danser et 1,215 cerceaux, 4,813 bicyclettes pour filles et 3,281 pour les garçons, puis 1 singe de peluche. « Ils ont déjà été davantage populaires… Bon travail, précieux collaborateurs, oh oh oh! »

          

 

 

Rudolph sourit abondamment, sachant que le père Noël a écouté la recommandation de son épouse. Par contre, les autres rennes n’ont pas le goût de rire, surtout quand le patron annonce que Nez Rouge sera en tête du traineau. Le vétéran des rennes proteste immédiatement : « Mais il n’a aucune expérience! Il va provoquer des accidents! Tous mes amis ici présents méritent beaucoup plus cet honneur qu’un jeune qui n’est jamais sorti du Pôle nord! » On ne discute pas les décisions du gros bonhomme rouge. Quand il sort, les rennes grommellent entre eux, si bien que le chef de l’écurie les rappelle à l’ordre, avant de préparer le traineau magique.

        

 

 

« C’est tout de même fantastique de rendre tant de jouets invisibles et de les déposer dans une si petite voiture, puis de mémoriser toutes les adresses des maisons de ces enfants, transformer les jouets en réalité et les mettre dans sa poche! Quel honneur de travailler pour un homme si merveilleux! Bien sûr, nous avons l’aide de Dieu, mais, tout de même… Oh, comme ce traineau est beau. Je l’ai vu tant et tant de fois, pensant toujours que c’est une splendeur et… hé, les rennes! Cessez de murmurer entre vous! N’avez-vous pas honte d’ainsi mépriser le fils de notre Paulinette bien aimée ? » Le chef de l’écurie tousse un peu, battant du pied.

        

 

 

Le père Noël sourit curieusement, comme s’il se sentait gêné de faire face à nouveau à son traîneau, attelé avec soin, ne remarquant pas que les rennes semblent bouder, parce que Rudolph se retrouve au premier rang. Le jeune se sent un peu nerveux, comme s’il passait un examen afin de savoir s’il méritera le poste prestigieux ou non. Cependant, il sent dans son cœur, dans son âme qu’il connaît cette tâche importante, héritage de sa maman.

         

 

 

L’essai devient concluant pour Rudolph, mais le père Noël recommande aux rennes de se mettre en forme en vue du grand moment. « Peuh! Favori du patron! Nez Rouge voleur d’un poste qui aurait dû nous revenir! » Rudolph ne pleure pas face à cette remarque. Il sourit, remercie les autres et garde ses secrets pour lui-même : livrer des jouets aux enfants du monde entier représente un défi davantage exigeant qu’un essai de trente minutes… Mais il sait que la magie intervient, car sa mère lui en a parlé longuement. Il se souvient surtout de la joie de la disparue, au retour de chaque voyage. Le bonheur des petits devient aussi celui des rennes, de tous les lutins de l’atelier, de Dieu lui-même et même de Jésus. On raconte que ce dernier a déjà écrit au père Noël pour obtenir un jouet.         

 

 

Il y a des essais chaque jour. Le père Noël ne tient pas compte des petites maladresses de Rudolph, qui se corrigeront par moyen magique lors de la nuit du 25, mais il note surtout que le nez rouge brille beaucoup dans l’opacité, comme jamais ce ne fut pas cas jadis. Certains rennes l’admettent à basse voix.        

Le jour approche! Les lutins de l’atelier ne sont pas du tout exténués, mais ne refuseront pas le congé de janvier, car dès le mois suivant, ils devront se pencher sur la fabrication de jouets universels, en vue de Noël 2018. Le grand patron se sent fébrile. « Incorrigible! » de penser son épouse. « Ne prends pas trop froid et conduis prudemment. Je t’attends demain matin et je t’aurai préparé un bon gâteau avec glace au chocolat. »

        

 

 

 

Le discours du père Noël à son équipage émeut tout le monde. Le traineau s’envole, sous les applaudissements des lutins et de quelques anges, venus du Paradis en touristes. Rudolph, il ne  comprend pas trop bien pourquoi, sait où se diriger immédiatement. Quelle est ce prodige ? Comment le père Noël arrivera-t-il à livrer tous ces cadeaux à des milliers et des milliers d’enfants en une seule nuit, revenir le  matin et faire « Oh oh oh » tout en sifflant White Christmas. Rudolph craint un peu la première maison, mais reçoit des bons conseils des  rennes. Puis d’autres habitations, tant et tant, des villages, des villes, des pays et de voir le père Noël transformer les jouets invisibles et les déposer dans sa poche sans se tromper. Et les maisons sans cheminées ? Il n’y voit aucun problème! Heureux les enfants qui croient en lui! Les adultes qui s’en moquent rêvent secrètement au train électrique et à la maison de poupées reçus jadis.

        

 

 

Terminé ? Si tôt! Le père Noël dépose le traineau à bon port, caresse tous les rennes, mais donne un baiser sur le bout du nez de Rudolph. Les autres rennes en font autant et rentrent pour le repos et… non, pour la fête de la mission réussie, grâce à la lumière du nez de la recrue. « Du foin pour tout le monde! Et chantons ensemble : Le petit renne au nez rouge, ah comme il est mignon, son p’tit nez fait rire et personne ne s’en moque beaucoup. »

 

Tags: #renne
 


 
 
posté le 14-12-2021 à 06:12:47

Le village d'hiver de Lucienne

 

 

PRÉSENTATION



Bien que j’aie présenté le sujet de cet article dans mon roman Madame Club Sandwiche, le texte suivant est une création basée sur un fait réel, dont je me souviendrai à jamais. Le  nom de célibataire de ma mère Lucienne était Noël, sans doute une appellation prédestinée à fêter précieusement tous les 25 décembre. Comme les autres mamans : tourtières, décorations, présents, arbre dans le salon, recevoir la visite et, voilà longtemps, la messe de minuit. Cependant, maman ajoutait un aspect inédit : celui-ci. Je dédie ce texte à ma grande sœur Mireille.

 

 

 

13 - LE VILLAGE D’HIVER DE LUCIENNE (1999 et 2004) 

 

 

Lucienne sort de sa remise les boîtes de ses décorations de Noël, y ajoute les figurines achetées récemment, ainsi que la ouate, des bâtonnets de toutes dimensions, des canevas de couture, des figurines humaines autant qu’animales, tant de choses! La plupart seront modifiées à sa convenance. Ce qui importe surtout : ne pas être pressée par le temps et de savoir que ses enfants, petits-enfants et la progéniture de ces derniers se rendront, dès leur entrée à la maison, vers le long meuble où la femme aura créé son village d’hiver, comme jadis l’on se précipitait vers l’arbre de Noël.Avec la vieillesse, Noël a rapetissé et l’arbre traditionnel est disparu au fil des années, bien que Lucienne apprécie encore les décorations classiques, surtout les lumières de toutes les couleurs. Celles-ci sont devenues l’éclairage tout en nuances de son village, disposées à la fenêtre délimitant le salon de la salle à manger. Bien sûr, elle se plait à donner des cadeaux, mais sans la présence de sa fille Mireille à ses côtés lors des visites au centre commercial, elle ne saurait quoi offrir aux petits-enfants, dont elle connaît à peine les prénoms. Pour leur suite, c’est plus simple, car ils et elle - une seule fille - sont encore aux premiers pas de l’existence : des jouets très simples et menus comme leurs doigts. Voilà tous les éléments rassemblés selon leur nature : les  humains, enfants comme adultes, les moyens de déplacement telles automobiles et carrioles, les habitations modestes et imposantes (dont une église), divers éléments de décor, tel des bancs de parc et même des panneaux d’arrêt, pour le coin des rues. D’année en année, il y a des points communs, mais, au début de l’entreprise, Lucienne ignore ce qu’elle fera. Les minutes influenceront ses émotions et guideront ses gestes créatifs. On trouve aussi un père Noël, son traineau et ses rennes, mais l’ensemble hivernal dicte plutôt l’idée de la fête. Elle regarde le gros petit bonhomme rouge, étonnée : « Oups… il y a de la poussière dessus… » Le meuble a été nettoyé et le premier élément du village n’a rien à voir avec le futur site : installer les lumières dans la fenêtre, harmoniser les couleurs pour que le coup d’œil devienne agréable, mais surtout pas agressant. Lucienne regarde ses maisons une à la fois, afin de décider lesquelles seront mises de côté pour cette année 1999. Puis elle découpe soigneusement le canevas en parties égales, afin de faire naître de nouvelles habitations. Elle adore avant tout devenir architecte de délicatesse. Après avoir bâti la structure de chaque unité, la dame se presse vers sa laine, afin de vêtir les maisons de différentes couleurs, souvent pâles. Elle passe une semaine à préparer cinq nouvelles maisons. Puis la femme examine les nouvelles figurines, pensant qu’elles paraissaient davantage jolies dans le grand magasin. Mais ceci peut aussi se modifier, sauf les visages, bien sûr.

 

 

 

« Ce sont des belles maisons, maman.

- Oui, je me sens contente. Regarde ce petit bonhomme. Je vais l’installer sur des skis, que je vais fabriquer avec des bâtonnets de pop-sicle, puis les peindre en rouge ou en orange.

- Ce sera charmant.

- Tu voudrais un pop-sicle, ma fille ? » 

 

 

 

Mireille touche avec délicatesse les maisons, les figurines, les chevaux, les chiens, comme si elle craignait de les casser. Quand tout ceci décore le village terminé, ils font partie du décor général, mais personne ne remarque les menus détails. La femme frisonne en pensant à la délicatesse des gestes de sa mère. Elle a toujours été ainsi. Un beau souvenir de sa lointaine petite enfance : un chat de peluche que maman avait tricoté avec patience. Mireille ne jouait pas avec ce minou, de crainte de lui faire mal. Il régnait comme décoration dans sa chambre.

 

 

« Voilà un ski, maman. Il était délicieux.

- Pas en entier. Je vais faire deux skis, avec ceci. Ce petit bonhomme, je vais le placer au fond, près de la lumière verte.

- Il faudra fabriquer une côte.

- C’est facile. »

 

 

Mireille suggérerait bien de lui créer des compagnons en toboggan, mais ceci ne la regarde pas. Elle se souvient que voici deux années, sa mère avait confectionné un merveilleux bonhomme de neige en ouate, mais il semble qu’il ait fondu. Par contre, les petits patineurs existent encore, confectionnés avec des figurines qui, dans le magasin, n’avaient rien à voir avec ce sport.Une semaine plus tard, Lucienne commence la construction de son village, avec les rues, les côtes, la crèche qui a toujours eu niche en son centre, comme dans les anciennes paroisses, alors que le temple, par sa position, devenait le lieu de rassemblement de tous les croyants. Chaque jour voit une spécialité naître. D’abord les maisons et, en dernier lieu, les personnages. L’ensemble terminé, elle regarde, satisfaite, puis porte un second regard en soirée, avec l’éclairage, se rendant compte que les rouges n’éclairent pas dans une direction appropriée. Mireille a vu la progression du village, ne donnant jamais une opinion quand sa mère la lui demandait. Cela deviendrait une intervention extérieure dans un univers Lucienne Noël. Son autre fille, son fils, en visite dominicale respectent la tradition sans savoir qu’il y en a une : diriger immédiatement leurs yeux vers le village, l’examiner attentivement, la bouche entrouverte, comme si cette émotion de leur mère devenait la leur.Les petits-enfants font comme dans un magasin : regardez, mais ne touchez pas, jusqu’à ce qu’un garçon fasse les yeux doux à la vieille. Alors, Lucienne lui demande de désigner ce que l’enfant désire, pour jouer par terre. Avant le départ, il veut remettre le sportif à sa place, mais est trop petit pour atteindre la côte, aidé par son père.Ce fut le même manège en 2000, au cours des trois années suivantes, alors que le drame tristement parfois inévitable avait atteint Lucienne : perte d’autonomie, faisant en sorte qu’elle avait du mal à se préparer à manger, à se tenir propre. Pourtant, d’autres personnages avaient été créés, dont un nouveau bœuf pour la crèche. Quand il fallait se rendre à l’évidence d’un problème incontournable, Lucienne a compris, sans approuver : habiter un foyer pour personnes âgées. Son époux y a terminé ses jours, avec des soins attentifs de la part de femmes dévouées, tendres. Mais tout ceci, c’était « pour les vieux », disait-elle, baissant pudiquement la tête, camouflant mal qu’à son tour, le dernier droit de la vie venait de débuter. Passer de sa maison à une petite chambre lui a donné un choc, mais ses protestations furent de courte durée, car elle a rencontré une femme de son âge, un peu sans gêne, à l’esprit très vif, avec qui elle a réappris à éclater de rire. Puis Mireille la visitait deux fois par semaine, parfois pour se rendre lécher un cornet de crème glacée dans un parc, et l’automne venu, pour des emplettes, dont quelques unes destinées comme cadeaux de Noël pour les petits-enfants et les autres.

 

 

« Il est beau, ce père Noël. Je vais l’acheter.

- D’accord, maman. Ce sera une belle décoration, pour le temps des fêtes.

- Non, c’est pour mon village. Celui que j’ai fabriqué est usé.

- Bien sûr. C’est étrange de mettre des objets de Noël en vente alors qu’octobre vient de débuter.

- Noël dure alors plus longtemps, ma fille. »

 

 

 

Mireille a apporté chez elle plusieurs objets appartenant à sa mère, sachant qu’il n’y aurait pas assez d’espace de rangement dans la chambre du foyer. Par exemple, les nombreux albums de photographies. La femme fait une rotation. Parmi ces choses : les décorations du village de Lucienne. Par contre, le bureau sur lequel elle pourrait créer un autre village est moins vaste qu’autrefois et Mireille ne sait pas où elle pourrait déposer les lumières.Au milieu de novembre, les employées ne savent pas comment interpréter les inquiétudes de Lucienne, ses gestes nerveux, et même ses soubresauts nocturnes, se tirant du lit et se mettant à fouiller dans la penderie. « Moi, je sais. Ne vous inquiétez pas, ce sera réglé aujourd’hui », d’assurer Mireille. La femme arrive moins d’une heure plus tard, avec un plein sac des décors créés par sa mère. Elle enlève les objets de la vie courante du bureau, pendant que Lucienne, assise sur le lit, touche ses créations du bout des doigts, les classe selon les catégories, comme elle a toujours fait. Mireille se rend expliquer un désir à la responsable de l’unité, qui approuve, assure que le concierge passera rapidement pour installer des bouts de bois au dessus du  bureau, sur les côtés, où pourront être installées les lumières. Cependant, une grande surprise l’attendait dès son retour dans la chambre. « Où est mon petit skieur ? » Mireille demeure estomaquée. Alors que la mémoire quitte sa mère progressivement, l’aînée se souvient de ce skieur, né quelques années plus tôt.

 

 

 

« Il faudrait des canevas, pour d’autres maisons. Pourquoi ne sont-ils pas là ?

- Il n’y en avait sans doute plus. Nous irons au magasin cet après-midi pour en acheter.

- Oh oui! J’aime tant le centre commercial. »

 

 

 

Rien n’a changé. Lucienne prépare avec tendresse et une lenteur qui donne des frissons. Oh, il y a un changement : un public. Les autres pensionnaires entrent sur le bout des orteils pour regarder. Les femmes touchent délicatement les maisons, les personnages et même la neige de ouate, alors que les hommes demandent s’ils peuvent aider. Mireille se rend de jour en jour pour voir la progression du plus petit village, mais semant l’émoi des sentiments de tout le monde. Des souvenirs se rattachent à chaque parcelle du village, mais pas obligatoirement relatifs à Noël, sauf dans le cas de la crèche. À bien y penser, l’hiver n’a-t-il pas comme synonyme Noël ? Un des hommes, voyant l’adepte du ski, relate ses exploits passés sur les pentes de toutes les régions du Québec. Une femme pointe du doigt un chien et raconte tous les fidèles qui l’ont accompagné au cours de sa longue vie. Les visiteurs se montrent polis, cognent toujours à la porte, demandent la permission pour regarder. Lucienne précise tout le temps qu’il ne faut pas toucher. Même les pensionnaires des autres unités désirent voir et les employées de ces lieux passent tour à tour, pour féliciter Lucienne. Elle a souvent entendu « C’est beau »,  mais rarement « Félicitations. »

 

 

Sans doute motivée par ces réactions, Lucienne réclame à Mireille quelques autres visites au centre commercial, où elle pointe du doigt tout le matériel déjà utilisé. « C’est pour l’an prochain », d’avouer la maman. Le village est encore plus visité à Noël même et survit jusqu’au 7 janvier. Cependant, les admirateurs affluent tous les jours, pour parler, apprendre à se connaître. « Voilà le plus beau cadeau de Noël, Mireille : des amis. Je n’en ai jamais eu beaucoup, tu sais. »

 

 

Les années passent, doucement, alors que Lucienne perd de plus en plus de mémoire, d’autonomie, d’habileté, mais à chaque novembre, elle fait à sa fille : « Voilà le temps de mon village. » C’est son enfant qui le construit, car Lucienne ne peut plus. Cependant, comme une petite fille, elle tend à Mireille chacun des éléments à placer.

 

 

Lucienne est disparue tardivement, en juillet 2019, âgée de 94 ans. Cependant, au cours des années précédentes, chez Mireille, enfants et petits-enfants entraient dans sa maison pour en premier lieu voir son village. La fille poursuit la tradition et, à chaque décembre, la maman décédée semble parler à Mireille.

 


NOTE : La photo ci-dessus vous présente un village d'hiver signé par Mireille.

Tags: #crèche
 


 
 
posté le 13-12-2021 à 08:04:07

La poupée pour Isabelle, c'est promis

 

 

PRÉSENTATION


 Bien sûr, les enfants de quatre ans ne parlent pas de cette façon, dans la vie quotidienne ! Mais les romanciers se le permettent. Nous voici au début des années 1980 et la petite Marie-Lou nous entretient de Noël, jusqu’à ce que sa meilleure amie Isabelle, de milieu défavorisé, ouvre grands les yeux face à une magnifique poupée. Elle croit que ses parents ne pourront jamais lui acheter un tel trésor, mais Marie-Lou lui jure qu’en demandant au père Noël, elle obtiendra le trésor, surtout que la blonde enfant connaît personnellement le gros bonhomme, rencontré dans des circonstances qu’on n’imagine pas… Une modification d’un extrait apparaissant dans mon roman Des Trésors pour Marie-Lou, publié en 2002. 

 

 

12 - LA POUPÉE POUR ISABELLE, C’EST PROMIS (1981)              



Le père Noël est un monsieur obèse qui porte une fausse barbe et s’habille en rouge. Il est engagé chaque année par le centre commercial où ma maman a un magasin. Il y a autant de pères Noël que de centres commerciaux. Ces hommes travaillent à rendre les enfants heureux, même s’ils doivent nous poser des questions idiotes pour savoir si on a été sages, si on a obéi à notre maman, des trucs dans ce genre-là... En principe, le véritable père Noël habite le pôle Nord, un endroit très froid. Avec ses assistants et des lutins, il travaille à fabriquer les jouets qu’on voit dans les boutiques. Après onze mois dans leurs bureaux, ils se paient des vacances et arrivent à Trois-Rivières pour prendre les enfants sur les genoux en disant oh ! oh ! oh !, même s’il n’y a rien de drôle.

 

 

Je dis au père Noël ce que je désire comme cadeau. Et puis, à sa pause-café, il va confier ce secret à ma mère, qui travaille à quelques boutiques de la promenade du centre commercial. Le père Noël, cette année, va toujours faire pipi dans la toilette du magasin de maman. Ainsi, je suis certaine d’avoir le bon cadeau. Je lui demande aussi un présent pour mon anniversaire de naissance, deux jours après Noël. Isabelle, ma meilleure amie de la maternelle, est venue au monde un peu avant le jour de l’An, mais ses parents ne lui donnent pas un présent supplémentaire. Ce n’est pas juste. De toute façon, Isabelle et moi, on n’aime pas le jour de l’An, qui ne sert qu’à regarder des comiques criards à la télévision. La vie ressemble à une fête continuelle. En plus de Noël, il y a Pâques (avec du chocolat), la Saint-Jean-Baptiste (avec des drapeaux), l’Halloween (avec des déguisements), la fête du Travail (avec rien) et les journées pédagogiques. Il y a aussi la fête des amoureux, dont j’ai oublié le nom.             



À la maternelle, ils nous font coller sur des cartons toutes sortes d’images en vue de chacune de ces fêtes. Moi, je me penche sur des belles cartes avec des dessins. Cette semaine, on vient de fabriquer des cartes de Noël et on monte dans un autobus pour aller les donner à des grands-parents (et même des plus anciens) dans un endroit où ils installent tous les vieux dans une grande salle avec un téléviseur. Il semble qu’ils aiment recevoir la visite des enfants de la maternelle. Je suis un peu déçue parce que ce ne sont pas des vrais vieux. Roméo est vraiment vieux. Ceux-là font semblant. Ils sont gentils quand même et nous parlent comme à des bébés. Après, on retourne à la maternelle et mademoiselle nous dit qu’on vient de créer l’esprit de Noël. Elle est bizarre, mademoiselle.             



La semaine prochaine, on devra emporter des boîtes de conserves pour donner aux pauvres qui n’en ont pas pour célébrer. Je n’en ai pas non plus, car ma maman fête Noël avec de la dinde et des tartes à la tourtière. Isabelle, qui est pauvre, préférerait une nouvelle poupée à une conserve de soupe aux pois. L’an dernier, elle en a demandé une au père Noël et il ne lui en a pas apporté. Sa famille a eu de la soupe aux pois quand même. Les pauvres sont des gens qui passent tout leur temps à regarder la télévision. Ils achètent des billets de loterie et vont flâner au centre commercial. Leurs enfants sont mal vêtus, parce que leurs parents n’ont pas d’argent, car il y a trop de billets de loterie à se procurer. Isabelle n’aime pas Noël. Elle prétend que c’est une fête pour les riches.

 

 

 Ce samedi, maman engage une vieille de quinze ans pour nous accompagner au centre commercial, pendant qu’elle travaillera. Il y a tant de belles choses dans les magasins, au mois de décembre. Pour les enfants, c’est  la règle « Regardez, mais ne touchez pas ». De toute façon, les plus beaux jouets reposent sur les hautes tablettes et nous ne sommes pas assez longues pour les atteindre. Nous avons l’impression qu’il y a plus de jouets que d’habitude, qu’il ne pourra plus jamais y en avoir autant. Isabelle se tord le cou en regardant vers le sommet d’une étagère où, triomphalement, règne une poupée plus grande qu’elle. Je saisis la gardienne par la taille pour lui demander de la grimper sur ses épaules, mais les deux se retrouvent sur leurs derrières. Je console Isabelle, même si elle s’est fait moins mal que la fille. Je prends mon amie par la main pour courir, pendant que l’autre se frotte les fesses. Nous nous cognons contre un adulte, du genre en uniforme qui empêche les enfants de faire ce qui leur plait et nous avertissent avec une voix niaiseuse.

 

 

Plus loin, il y a  des belles décorations. Nous ouvrons autant nos bouches que nos yeux aussi multicolores que toute cette symphonie brillante. L’adolescente nous retrouve, pas très contente, et nous retournons vers les beaux jouets. Nous espionnons les adultes qui achètent des joujoux à leurs petits. Isabelle se cherche parmi eux de nouveaux parents et, pour me part, je fais de la prospection pour trouver un père. Soudain, un vendeur, grimpé sur un escabeau, prend la poupée géante qui faisait l’envie d’Isabelle, il y a quelques minutes. Il la donne à un couple vêtu comme des sapins. Isabelle les regarde s’en aller aussi loin que ses yeux peuvent les apercevoir. Le commis, amusé, nous dit qu’il y aura une nouvelle poupée toute pareille, dans quelques minutes. Une jumelle ?             



Nous marchons vers la promenade pour regarder le père Noël recevoir les gamins. Je crois que ce père est plus beau que celui du centre commercial du Cap-de-la-Madeleine. « Je le connais. Il va faire pipi dans la toilette du magasin de maman ». Isabelle se voit stupéfaite d’apprendre qu’un père Noël puisse uriner.             



La gardienne décide de nous payer une crème glacée à la cerise pour se reposer de notre exubérance. Je parle de tous les jouets vus, mais Isabelle ne pense qu’à la poupée géante. Je demande à la fille un souvenir d’un de ses Noël de l’ancien temps, vers 1972. À la maison, on  a une photo de cette époque de maman et elle portait des cheveux dans tous les coins.              



Midi approche et l’ado va passer au magasin pour que maman lui donne sa paie. On a la surprise de constater que le père Noël n’est plus sur son trône. Je suis certaine qu’il est en train de pisser chez maman! Idéal pour qu’Isabelle lui demande en privé la poupée. Le voilà! Comme je suis intelligente! Mais le père Noël ne fait pas pipi, mais mange des sandwiches, assis face au petit bureau de l’arrière boutique. « Oh Oh Oh », assure-t-il. Isabelle agrandit les yeux, impressionnée. Il connait son métier et fait monter Isabelle sur ses genoux. Maman profite de l’absence de clients pour approcher et regarder.

 

Quand il demande à mon amie ce qu’elle désire, la description de la poupée blonde passe en premier lieu. « La poupée pour Isabelle, c’est promis. » Il ne s’attendait pas qu’elle se mette à pleurer, disant que l’an dernier, il l’avait ignorée, que ses parents sont trop pauvres pour espérer recevoir un vrai cadeau. Maman semble touchée. Moi aussi… Pauvre Isabelle, incapable de cesser de verser des torrents! Quand elle se calme enfin, le père Noël, mal à l’aise, m’invite à monter aussi sur ses genoux, même si je lui ai parlé la semaine dernière. « Ce que je veux comme cadeau de Noël ? Qu’Isabelle ait sa poupée. »            



Nous montons dans l’autobus et la gardienne vient nous reconduire à la maison, où grand-mère Bérangère nous attend, pour prendre soin de nous, avant le retour de maman de son travail. Isabelle ne  semble pas vouloir jouer. Bérangère essaie de nous amuser et doit se demander ce qui se passe avec mon amie. Dans ma chambre, il y a plein de jouets et je pense qu’Isabelle n’aimerait pas les voir. Je monte chercher des ciseaux, pour découper les femmes et les hommes dans le catalogue de Noël. Cela distrait Isabelle, tout comme le disque de musique ancienne de Paul Piché que grand-mère fait tourner, pour tenter de nous faire chanter. Pendant qu’elle parle au téléphone, je me presse de sortir un autre disque, un peu plus à la mode.            



« Isabelle, ma fille, la maman de Marie-Lou,  vient de me dire que tu vas souper ici. Je vais téléphoner à tes parents pour les avertir. » Ma mère revient à l’heure prévue. Notre repas est interrompu par une personne sonnant à la porte. Le père Noël du centre commercial! Il tend à Isabelle une grande boîte. « Je te l’ai promis, Isabelle. Joyeux Noël! » La poupée géante! Isabelle  danse autour tout en pleurant. Moi aussi j’en verse, tout comme maman, mais on entend le père Noël s’éloigner en sifflant un air du temps des fêtes. Jamais je n’oublierai ceci, j’en suis certaine! Et quand je serai vieille comme grand-mère, à chaque Noel, je raconterai ceci à mes petits-enfants.

 


 

Tags: #cadeau
 


 
 
posté le 12-12-2021 à 05:48:28

Seul avec des centaines de personnes

 

 

 

PRÉSENTATION



 Voici le texte le plus particulier de cette collection, puisqu’il présente deux données auxquelles les gens pensent très peu, relativement à Noël : il y a des personnes seules (volontairement ou non) et d’autres qui travaillent. Il s’agit aussi d’un récit autobiographique, avec extrapolations romanesques, puisqu’en 1979 et 1980, je travaillais la nuit comme opérateur d’une station de radio F-M. J’étais d’ailleurs le seul employé volontaire pour œuvrer les nuits des fêtes. Un aspect m’avait frappé, lors de ces occasions : les appels téléphoniques, rarissimes les autres nuits, se bousculaient. Presque tout ici est arrivé véritablement, dont la visite de policiers au milieu de la nuit et le gars grand admirateur de White Christmas. Mais pas Guylaine, pour une rare fois…

 

 

 


 11 - SEUL AVEC DES CENTAINES DE PERSONNES  

 

 

L’employé avant moi m’a supplié de le remplacer à dix heures, parce qu’il avait une fête familiale chez sa blonde et qu’il ne devait pas la rater. Mais oui… Mais oui…

 

 

D’autant plus que je serai payé à temps double de dix heures du soir jusqu’à sept heures, le 25 au matin. Cet emploi est le meilleur rencontré dans ma vie, parce que je suis seul, que je n’ai pas à faire face à un réveille-matin, que je peux écrire en toute paix, puis regarder l’incroyable paysage urbain nocturne à partir de mon coteau, alors que les lumières de l’horizon font paraitre Trois-Rivières aussi immense qu’une métropole. Par contre, pour la musique, c’est un cauchemar avec Joe Bassin, Gaga Mouskouri et l’infect Julio. Cependant, depuis août dernier, j’ai compris que je n’étais pas en poste pour écouter de la musique. D’ailleurs, dans un tel cas, il m’arrive de me présenter avec mon baladeur pour me délecter d’une cassette rock. Pas besoin d’écouter Julio pour se rendre compte qu’une chanson achève. Les aiguilles de ma console de diffusion me le disent. Alors, enlève le disque, installe le suivant, monte la coulisse et attend pour la suite incessante de ces gestes pas trop éreintants.Noël donc. Oh, voilà depuis le début de décembre qu’on en fait entendre progressivement, mais pour cette nuit, Jésus naissant réclame la succession de tous les clichés usés : Noël blanc, Le petit renne au nez rouge, et, pour que la sainte Vierge cligne des paupières : Ave Maria.

 

 

Voyons voir la programmation, pour chercher les erreurs. Ah, Noël Blanc instrumental entre 10 et 11, puis version française entre 11 et 12, enfin l’antique avec Bing Crosby entre minuit et 1. Cela vaut pour toutes les autres chansons. Bon, tout est en place et… Ah, j’oubliais de déposer mes sandwiches dans le petit frigo du local du journaliste. J’aurai préalablement préparé la cafetière de la salle de pause.Coup de téléphone ? À dix heures quinze, c’est normal, même si j’ai sursauté, peu habitué qu’on cherche à me parler, habituellement pour connaître le titre d’une chanson, en demander une ou « félicitations pour vot’ beau programme. » Le coup de téléphone que j’ai le plus aimé est arrivé en septembre : un homme désirait savoir si les Expos avaient gagné, à Los Angeles. Je ne sais pas comment il se fait que ces personnes savent que je suis le seul employé d’une station de radio présent, car les deux A-M sont branchés Montréal. Davantage  économique. Un homme désire me suggérer de passer Minuit Chrétiens à minuit pile. Ce n’est pas prévu, mais comme voilà une bonne idée, je le remercie et assure que je le ferai.

 

 

Ah, voilà Noël blanc, avec la bande de Paul Mauriat. Un peu plus tard, je sors les feuilles de mon roman en cours de création pour me payer quelques paragraphes quand le téléphone sonne à nouveau. « Merci, monsieur, de ne proposer que des disques de Noël. Je n’ai pas de phono, chez moi, et vous écouter devient un ravissement. Vous savez, je suis seule et toutes ces chansons me réchauffent le cœur. Cela me rappelle mon enfance de petite fille. »Vers une heure : autre dring dring, cette fois de la part d’une infirmière en chef d’un département d’un hôpital, me racontant que c’est triste, pour ces femmes, de travailler la nuit de Noël et que la musique présentée les berce ou les incite à sourire. Le grand patron m’a déjà raconté que garder la station ouverte la nuit ne sert qu’à une assurance de syntonisation vers les lieux où l’on travaille la nuit, cela pour le bon plaisir pour les gens entrant à l’ouvrage en matinée. J’avais alors cherché à identifier les travailleurs nocturnes : l’hôpital, le service de police, les petits restaurants 24 heures, les chauffeurs de taxi, quelques stations-service, les usines et… bien que dans ce cas, c’est sans doute trop bruyant pour écouter la radio. Puis, à 1 heure 45, une catégorie à laquelle je n’avais pas pensé : la voirie et surtout les déneigeuses. Je regarde alors immédiatement vers les fenêtres. Ah, ils vont être contents, les gens : le voilà leur Noël blanc! « C’est gai, des chansons de Noël, à bord de nos machines! »

 

 

Entre deux et trois, je devine que l’incontournable va se faire entendre : la fin du réveillon et les hommes saouls qui veulent danser la gigue au son du Petit renne au nez rouge, par Ginette Reno et personne d’autre. Je reçois deux appels du genre le temps de cinq minutes, dont le second par un type qui pue l’alcool jusque dans mon récepteur. De bonne humeur, cependant, m’assurant que sa parenté vient de passer deux heures à fredonner sans cesse ce que je fais entendre.  Après, ce sera tout, je crois bien. J’ai déjà battu de plusieurs appels mon record de deux, dont l’inévitable femme qui veut entendre Adamo toutes les nuits.

 

 

« Mario, est-ce qu’Adamo a enregistré un disque de Noël ?

- Si c’est le cas, on ne l’a pas dans notre collection.

- Tu ne pourrais pas me faire entendre une chanson d’Adamo ?

- C’est Noël et la programmation exige que ce ne soit que des pièces relatives à cette fête.

- Un petit effort. Comme cadeau de Noël. Tu sais que je suis ta plus fidèle auditrice.

- Tu devrais aller te coucher, Guylaine. » 

 

 

Cette fille est le seul contact humain que j’ai chaque nuit et j’ai souvent l’impression qu’elle est un peu… heu… lente. Je devine qu’elle est seule, délaissée. Alors, je me mords les lèvres… Allez quoi, ça n’arrive qu’une fois par année : vas-y, Adamo, elle t’écoute! Je ne pensais pas que cela provoquerait deux appels téléphoniques de suite. D’abord, Guylaine, qui pleure en remerciant. Puis le patron. « Des chansons de Noël, clair et net sur ta programmation, Mario? » Est-ce que le boss est aussi saoul que… le suivant ? J’ai le goût de décrocher le récepteur, d’autant plus que le moment de mon goûter arrive, suivi de ma seconde tasse de café. Je croque dans mon sandwiche quand j’entends l’impossible : on cogne à la porte. Je demeure bouche-bée, inquiet. On m’a bien signalé de ne jamais ouvrir car il y a parfois des dingos, la nuit. Mais la curiosité étant ce qu’elle est… La police ?

 

 

« Non, y’a rien de mal, gars. On fait notre ronde et entendre toutes ces chansons de Noël est bon pour notre moral, en pensant qu’on est séparés de notre famille pour cette nuit où tout le monde est rassemblé dans la joie.

- Ah bon! Merci, monsieur l’agent.

- On t’a acheté un cadeau, pour te remercier : une boîte de six beignets. Tu sais, nous, de la police, on connait ça, les beignets. Ouvre que je te refile la boite et que je te serre la main, pour te souhaiter un joyeux Noël. »

 

 

Grande nouvelle : les comptoirs de beignets sont ouverts 24 heures, même en temps de fête. Je l’ignorais. Je regarde la boîte et en prenant un exemplaire de ce délice, je lui ris en pleine figure. Un autre appel à 3 heures 45, de la part d’un fêtard qui me baille sa joie d’avoir entendu toutes ces chansons. Cette fois, il n’y en aura plus. Je peux retourner à mon roman. Mais avant : pipi ! Pour ce faire, il faut une chanson longue. Deux minutes quinze secondes, c’est trop court. La suivante aussi et, ah ! Quatre minutes et trente secondes. Merci, monsieur James Last. C’est, je crois, un pot-pourri, d’où la longueur. Vite, au petit coin!Je me presse tout de même vers le local au fond du couloir et quand la coulée bienvenue s’exprime, j’entends le disque sauter. Pas possible! Pisse, pisse donc plus vite! Pire que tout, de retour dans le studio, le téléphone sonne encore. Lancer le disque suivant avant tout et transformer le James Last en soucoupe volante.

 

 

« Aie, ton disque instrumental était brisé.

- Je sais, je viens de l’enlever.

- Tu ne peux pas savoir le fun qu’on a eu au son de ta station de radio. On a dansé et chanté, tapé dans les mains aussi! Moi, ma chanson de Noël préférée est White Christmas. Je la connais par cœur, même en anglais. Écoute ben ça ! »

 

 

Quinze minutes plus tard, il est encore présent, me racontant le cadeau de Noël reçu, me rappelant le train électrique de 1964 et la fois qu’il avait invité une fille pour un réveillon et qu’elle allait devenir son épouse, suite à un baiser partagé pendant Petit Papa Noël. Je devrais lui faire comprendre que c’est difficile de parler aussi longtemps au téléphone, tout en enchaînant les disques, les remettre dans leurs pochettes et préparer le suivant, mais je ne sais pas trop pourquoi ce gars me fait rire. Peut-être que si je le croisais sur un trottoir, il ne me regarderait même pas. Mais parce que je suis le type qui fait tourner les rondelles, je deviens un personnage important.

 

 

En fait, il n’y a eu aucun appel, au cours de l’heure suivante. Je regardais le téléphone, tentant de deviner si ce serait une femme esseulée ou un homme triste qui venait de perdre sa blonde. Rien. Le téléphone a sonné à six heures quinze. Je me suis lancé sur le récepteur et… « Excusez-moi, je me suis trompé de numéro. »

 

 

J’arrive chez moi à sept heures trente, fatigué, les oreilles bourdonnantes de trop de chansons de Noël, et je ne comprends pas pourquoi je mets deux heures avant de m’endormir, pensant à tous ces appels, réalisant que seul dans mon studio, je devenais important pour des centaines de gens ayant besoin d’une présence en cette nuit de fête. C’est peut-être ça, l’esprit de Noël, même si personne ne pense aux policiers, aux infirmières, aux employés de la municipalité et à la femme qui vend des beignets, au lieu de fêter avec sa famille.

 


 

Tags: #travail
 


Commentaires

 

1. ANAFLORE  le 13-12-2021 à 08:11:47  (site)

Sympa de penser aux personnes isolées Calimero

2. MarioNoel  le 13-12-2021 à 09:26:03  (site)

Ah, un premier véritable commentaire !
Tu sais, cette Guylaine que je nomme, elle téléphonait presque chaque nuit, à toutes les heures. J'avais l'impression qu'elle ne connassait personne. Pas très futée, je crois bien, mais je n'en tenais pas compte. Elle voulait tout le temps entendre Adamo,

 
 
 
 

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