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Titre du blog : Quinze histoires de Noël
Auteur : MarioNoel
Date de création : 28-11-2021
 
posté le 04-12-2021 à 02:57:16

Amour et Noël

 

 

PRÉSENTATION

 

 

 

Voici un texte entièrement inédit, présentant les rôles de deux jeunes gens, dans le cadre d’un Noël traditionnel, mais avec un dénouement inattendu… Le milieu décrit est celui du village habité par mon personnage Grand-Regard, dans les quatre romans qui lui sont consacrés

 

 

5- AMOUR ET NOËL (1913)      

   

 

 

Je suis arrivé au village de Côte-de-l’Est en septembre, pour travailler dans une laiterie. C’est un beau lieu, très paisible, avec aussi le village de Pointe-à-Pierre, à l’ouest, puis, au centre : Rivière-Aux-Truites, où on croise une belle plage. La première personne dont ces gens m’ont parlé est une jeune mère surnommée Grand-Regard, qui dessine admirablement bien et ayant une magnifique voix de chanteuse.         

 

Mais le moment le plus extraordinaire vécu se produit au cours de la dernière semaine de novembre, à Rivière-Aux-Truites, alors qu’une des premières neiges de l’hiver se mêle à la pluie. Mon patron m’a envoyé au bureau de poste de ce village pour acheter des timbres et laisser les enveloppes au responsable du lieu. Devant moi, une fille marche prudemment quand soudain, je la vois glisser et tomber avec violence. Vite, je me presse de courir pour l’aider à se relever.

 

        

 

 

« Tu t’es fait mal ?        

- Un peu… Au pied… Mon sac! Mon sac! Je viens d’acheter de la farine, comme demandé par ma mère. Je ne voudrais pas que le petit sac soit déchiré et que la farine tombe dans le grand sac !

- Je vais regarder… Non, rien de brisé, je crois bien. Je vais te donner un coup de main pour te remettre sur pieds, puis te reconduire chez toi. J’ai la voiture de mon patron, laissée dans l’écurie de l’hôtel. Il m’envoie ici pour quelques courses. Je travaille à la laiterie de Côte-de-l’Est. Je m’appelle Émile.        

- Et moi, Madeleine. Le même prénom que Grand-Regard. Merci de m’aider et… Oh, je crois que je dois saigner du pied… » 

 

        

 

 

 

En la tenant par le bras, je me sens stupéfait de voir ses beaux yeux. Je crois qu’elle apprécie mon visage. Comme c’est écrit, dans les romans odieux, ce fut un coup de foudre. De retour au travail, je ne demeure pas à Côte-de-l’Est et, le soir même, je retourne à Rivière-Aux-Truites pour savoir si Madeleine ne souffre pas trop. Malheureusement, elle s’est déchiré la peau de son pied droit et aura du mal à marcher, pendant quelques jours.

 

         

 

 

 

Je suis bien reçu par la mère, mais attristé d’apprendre que Madeleine a perdu son père, voici deux années. La femme est très bonne cuisinière et prépare des marinades, qu’elle vend dans les épiceries des trois villages. Les autres saisons, elle cultive un immense jardin et au cours de la saison touristique, en été, elle offre des fruits et des légumes dans un petit kiosque établi le long de la rue principale. Madeleine y travaille.

 

         

 

 

 

Les jours suivants, je me rendu compte que non seulement Madeleine parait ravissante, mais qu’elle est intelligente, adore la lecture, connaît les noms de nombreuses plantes et a beaucoup d’attachement pour son village natal. Elle parle calmement, avec une jolie voix et rit d’une curieuse façon : très brièvement. Quand, avec courage, je demande si nous pourrions se revoir, elle répond vivement : « Oh oui! » Mon cœur s’écrie : « Oh oui! »

 

        

 

 

 

Il ne se passe pas une journée sans que je la voie. Je m’inquiète pour sa blessure et me permets même un présent d’encouragement : des chocolats, présentés dans une belle boîte avec un ruban rouge, sa couleur favorite. Au début de décembre, la neige triomphe de la pluie et Madeleine m’invite à des promenades dans la forêt, près de la rivière. Oh, mais il ne faut pas penser mal : il ne s’agit pas d’une forêt dense et la rivière, centre du village, est à portée de tout le monde, joie des pêcheurs. Tout simplement un paysage magnifique, qu’on ne voit pas à Côte-de-l’Est, qui ressemble davantage à une plaine. Madeleine connait tous les coins, ainsi que les gens. Dans un petit milieu, c’est là chose courante, mais qui me surprend tout de même, moi qui suis né et ai grandi dans une ville.

 

         

 

 

 

Si mon père m’a envoyé ici, c’était pour prendre de l’expérience et qu’il n’y avait aucun autre endroit pour me recevoir. Selon lui, je devrai revenir à la ville dans une ou deux années. Je n’y tiens pas, à cause de Madeleine. Oh, je la connais depuis peu, mais je sais que je l’aime. Je ne pense qu’à elle à toute heure du jour et quand je la revois, tout mon être resplendit de bonheur. Elle pense la même chose et son attitude ne peut mentir : nous sommes faits l’un pour l’autre et  notre avenir se déroulera ici.

 

         

 

 

 

Un samedi de décembre, alors que nous marchons sur le trottoir de la grande rue, nous entendons une voix magnifique provenant de l’église. Nous ne sommes pas les seuls à écouter et tous savent, sauf moi, que c’est Grand-Regard qui exerce son chant, en vue des messes relatives à Noël. Madeleine m’a raconté que cette femme est amie avec monsieur le curé, qui lui demande de chanter à quelques messes, mais surtout lors de fêtes religieuses. Si elle a accepté les mariages, la dame a refusé les enterrements. Chose très rare : c’est elle qui présente le Minuit Chrétiens, habituellement un hymne réservé aux hommes.          Quand elle sort, tout le monde l’applaudit. Une belle femme! Elle a des yeux expressifs, d’où son surnom. Madeleine me tire par la main pour me présenter. Je balbutie qu’elle a une voix admirable. « Lorsque je vais me marier, je veux vous avoir comme chanteuse à la cérémonie! » Elle ricane, cachant sa bouche avec les doigts, telle une fillette timide. « Je dois retourner chez moi. Oh, Madeleine, si ta mère a des pots de marinade en surplus, j’en achèterais bien un. Aux carottes! Je dois faire comme les autres femmes et songer au menu des célébrations de Noël. Contente de t’avoir rencontré, Émile. » 

 

 

 

 

 

Sans m’en rendre compte immédiatement, j’ai prononcé un mot qui ébranle Madeleine : Mariage. Ah, toutes les filles y pensent beaucoup. Quand, petites, elles bercent une poupée, c’est un apprentissage pour leur futur rôle de mère. Celles-ci leur enseignent très tôt à cuisiner, à tenir une maison propre.


Madeleine sait tout de ces obligations naturelles. Elle m’a même confié avoir un petit trousseau de future mariée, mais un peu approximatif à ce jour. Voilà un bel exemple et les garçons devraient les imiter.

 

        

 

 

 

Le lendemain, Madeleine est prête à livrer les marinades réclamées par Grand-Regard. Ma belle demande si je désire l’accompagner. « Elle a des petits enfants encore jeunes. Son aînée est une fille et je te jure qu’elle tient déjà son rôle de bras droit de sa mère. Son mari est le responsable de l’électricité dans nos trois villages. Un métier très important! »

 

         

 

 

 

Le couple vit dans une maison à la limite de Rivière-Aux-Truites et habitée jadis par les parents de Grand-Regard, aujourd’hui décédés. Un joli intérieur. Nous sommes bien reçus et la femme se presse d’ouvrir le pot de marinades, de saisir une cuiller pour goûter. « Je dois les réserver à mes invités, sinon, je mangerais tout immédiatement. » Elle fait visiter la maison, s’attarde dans un coin où la femme dessine de superbes scènes. D’ailleurs, les enfants se sont pressés de me montrer les leurs. « Je dessine depuis que je suis petite. Je chantais aussi en bas âge, mais j’ai beaucoup appris des leçons de solfège reçues au couvent des religieuses, dans la capitale. Je connais des chansons de folklore, que me mère me chantait. Écoute bien! » Vraiment admirable! Nous passons une heure aux bons soins de Grand-Regard.

         

 

 

 

En sortant, je dis ce que Madeleine désire entendre : « Quand nous serons mariés, tu seras comme elle et nos enfants seront semblables aux siens. Je ne serai pas patron de l’électricité, mais travailler dans une laiterie, c’est aussi un beau métier. » Madeleine arrondit les yeux. « Marions-nous, Madeleine! Tu sais comme nous nous aimons tant! Il ne pourra y en avoir une autre que toi et… ne pleure pas! C’est une grande nouvelle, non ? Tu devrais rire! »

 

        

 

 

 

Madeleine propose que le mariage doit avoir lieu à Noël. Bonne idée! Une façon de ne pas oublier la date de notre union! Et peut-être obtenir la bénédiction de Jésus. Je pense cependant que le curé doit avoir tant à faire un 25 décembre, tout comme un 24. Il vaut mieux réfléchir à ce projet, au cours de la semaine. Pour ma part, je regarde les maisons de Côte-de-l’Est que je pourrais louer. Nous parlons de tout ceci au cours des jours suivants, sans avoir à discuter : oui, il faut nous marier !          Elle choisit sa plus belle robe et je porte mon habit du dimanche, pour visiter le curé, même s’il a beaucoup de choses à voir à l’approche de la célébration du 25. Nous lui expliquons le but de notre visite. Il garde silence, comme embarrassé.

 

 

        

 

 

« Je ne peux pas faire ça.        

- À cause de Noël ? Nous y avons pensé. Nous aurions aimé que ce soit le 25, mais accepterons pour une journée de la semaine suivante.        

- Mais vous êtes trop jeunes! Vous avez onze ans!        

- Douze, le 10 janvier.        

- Mais… Écoutez, ce que vous me dites là est charmant, mais…        

 - Monsieur le curé, nous nous aimons, nous sommes des catholiques fidèles à la messe et aux sacrements. J’ai un bon emploi d’avenir à la laiterie,  apprécié par mon patron, alors que Madeleine connaît tout de la maisonnée et de son devoir de future mère.        

- Je vous félicite, car ce sont de bonnes dispositions. Revenez me voir quand vous aurez dix-huit ans.        

- Mais…        

- Je ne veux pas vous faire de chagrin, mais j’ai une autorité au-dessus de moi. Monseigneur me reprocherait de donner le saint de sacrement à des sujets si jeunes. »

 

         

 

 

 

Je m’éloigne penaud, la tête baissée, puis Madeleine se met à pleurer. Je la prends par la main, la serre contre moi. « Les adultes ne comprennent rien à l’amour! Il va marier des vieux qui ne s’aiment pas autant que toi et moi! C’est une injustice! »

 

        

 

 

 

Madeleine ne peut assister à la messe de minuit, car sa mère croit que c’est trop tard pour elle. La femme, comme présent, lui a donné une poupée et moi, j’ai reçu un canif. Le lendemain, à la messe, elle et moi gardons silence, incapables de penser à autre chose que notre sort. Soudain, la voix de Grand-Regard s’élève pour un chant religieux. Des frissons nous parcourent les bras. « Elle a promis qu’elle chanterait à notre mariage. Encore des mots d’adulte! Viens, Madeleine, on s’en va. Je dois jouer avec mon canif, et toi, avec ta poupée. Je n’ai jamais vécu un Noël aussi triste. » 



Trois jours plus tard, nous croisons Grand-Regard sur un trottoir. Je lui demande de me promettre de chanter à notre mariage. « Oui, je le jure », fait-elle. Madeleine ajoute que la femme n’a pas souri de façon moqueuse. « Elle va s’en souvenir et sera là, quand nous aurons l’âge désiré par le curé. En attendant, si nous allions fabriquer un bonhomme de neige ? »