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Titre du blog : Quinze histoires de Noël
Auteur : MarioNoel
Date de création : 28-11-2021
 
posté le 05-12-2021 à 05:56:44

Noël au centre-ville

 

PRÉSENTATION



Ce texte est particulier puisqu’il met en vedette deux personnages présents dans autant de romans différents. Bernadette Hétu provient de La Poudrée du centre-ville, une jeune femme de dix-sept ans, très sociable et amusante, dont l’activité principale est de flâner dans le quartier commercial de sa localité, parlant à tout le monde, sans cesse de bonne humeur. L’autre est Jeanne Tremblay, dans la vingtaine, artiste peintre de bonne réputation, mais beaucoup moins sociable. Les deux sont coiffées à la mode garçonne, portent maquillage et rouge à lèvres, des robes et jupes courtes et ne jurent que par la musique endiablée des États-Unis. Jeanne est présente dans plusieurs de mes romans, mais surtout dans Perles et chapelet, publié en 1999. Pour les deux, Noël a peu à voir avec la tradition ; c’est devenu une fête moderne et commerciale, régnant dans leur centre-ville.    

 

 

6 - NOEL AU CENTRE-VILLE  (1927) 



Bernadette remonte son col, car un vent sournois vient de décider de prouver sa supériorité. Les passants lui sourient, comprenant sa fantaisie de passer son temps à flâner au centre-ville au cours de l’été, tard le printemps et tôt en automne, mais, tout de même : en décembre, à deux semaines de Noël ? En cette journée, la jeune femme porte réellement son surnom de Poudrée, car la neige, mariée au vent, a décidé de remplacer son imposant maquillage. « Les arbres de Noël, les décorations, tout ça est bien beau et divertissant dans nos maisons, mais ceci devient étincelant dans les vitrines de nos grands magasins et même dans celles de plus modestes commerces. L’an dernier, j’avais vu une petite fille d’environ quatre ans, hypnotisée par une poupée exposée. Il y en avait plusieurs, mais l’enfant en regardait précisément une seule. Le rêve de sa vie! Sa mère lui tendait la main, pour l’inviter à la suivre. Sourde oreille et quand maman a insisté en l’entraînant près de ses jupons, la pauvre avait hurlé, tant pleuré. Des témoins trouvaient ceci drôle et d’autres pensaient que c’était émouvant. Je m’étais approchée en lui chantant « Allô ! », me penchant vers elle, sortant de mon sac à main une friandise aux fraises. Cela l’avait consolée et je devenais encore meilleure que le père Noël. Je m’étais éloignée en dansant, pour la faire rire, mais plus tard, j’en suis certaine, elle pensera encore à la poupée de la vitrine. Brrr… froid en titi! Je crois que je vais me rendre au casse-croûte Régal, pour me réchauffer avec une bonne tasse de café. »  En entrant, Bernadette a la surprise de voir Jeanne Tremblay, boudeuse. Une artiste peintre de grand talent, qui adore les vedettes de cinéma, les disques de jazz et les impolitesses tordues. Une exception dans le paysage sans surprise de celles de son âge.

 

 

« Allô, Jeanne! Froid, n’est-ce pas ?        

- Salut, Poudrée. Froid en diable. Je serais bien demeurée chez moi, dans mon lit.        

- Le devoir, avant tout!        

- Tu sais, le devoir et moi… Je te paie un café ? »

 

 

Au cours de cette année 1927, Jeanne a fait quelque chose hors norme, dans son univers créatif personnel : elle a dessiné et peint pour autrui. L’idée ne venait pas d’elle, mais de son frère Roméo. L’homme lui a demandé de fabriquer des cartes de souhaits relatives à Noël, promettant un investissement financier pour en imprimer deux cents, lui promettant de l’aider à les vendre, en décembre. La jeune femme ignore pourquoi elle a accepté. Peut-être parce que Roméo s’est toujours montré bon à son endroit.         

 

 

Jeanne a terminé l’hiver et débuté le printemps ensevelie sous des croquis, ne sachant pas quoi choisir pour transformer sérieusement les dessins en cartes, sans oublier qu’elle a aussi promis des tableaux de chaque modèle. Jeanne a fait rire Bernadette en lui révélant qu’en juin, elle peignant des scènes enneigées, installée dans la cour de la maison de son frère, en maillot de bain.   « J’ai passé l’année entière sous la neige. »

 

         

 

 

Bernadette envie l’inspiration et le talent des artistes, dans tous les domaines, mais particulièrement dans la musique jazz et le cinéma. Jeanne lui a déjà prêté des disques formidables et l’avait invitée dans le grenier de la maison de Roméo. Un véritable atelier de peintre, avec une toile en cours sur un chevalet, des papiers d’esquisses en grand nombre sur un petit bureau. La jeune femme avait tant arrondit les yeux que Jeanne n’avait pu s’empêcher de dessiner illico son visage. Jeanne n’aime pas trop Noël, à cause des traditions vieillottes. Voici deux années, elle avait causé un scandale lors du réveillon familial en se mettant à danser le charleston au son d’un disque criard. Dans son esprit, il y a des gens qui offrent des cadeaux par intérêt. L’employé à son patron. Le patron à l’employé. En réalité, ces deux là se guettent comme chat et souris toute l’année. Et les commerces proposent des soldes incroyables! Tellement incroyables qu’elle a de la difficulté à le croire. Or, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est ce Noël qui intéresse la jeune Tremblay. Il est urbain!  Il bouge! Fou! Il ment!  Un peu hypocrite, mais elle lui pardonne.

 

 

Les cartes de souhaits ont été prêtes en octobre. Jeanne croit que Roméo va perdre beaucoup d’argent dans cette aventure, car on ne peut vendre de tels menus objets à fort prix. Roméo en a distribué dans plusieurs boutiques de la ville et a trouvé trois engagements dans des grands magasins, afin que sa sœur puisse présenter ces créations au public. Cela ne l’intéresse pas du tout, mais après deux occasions, elle s’est sentie surprise de tant sourire aux gens, de parler des sujets des cartes. « Ce qui m’aide, ce sont les versions peintures des dessins des cartes. Regarde bien, Poudrée. »

 

 

Jeanne sort d’un sac un tableau présentant des enfants qui jouent autour d’un bonhomme de neige, devant une maison décorée de lumières scintillantes, le tout dans un décor de la campagne. Bernadette joint les mains et dessine un O avec sa bouche. Jeanne croit que les excès de sa jeune amie la font ressembler à une fillette.

 

 

« Les cartes sont en noir et blanc, comme tu le sais, mais la peinture est en couleurs. Ceci impressionne les gens et les incite à acheter les cartes, parfois en quantité appréciable. Cela me surprend beaucoup.

- Est-ce que tu vas vendre les tableaux ?

- J’en ai déjà écoulé trois, mais je vais les livrer le 24, car j’en ai besoin d’ici ce moment.

- Est-ce que tu as des cartes dans ton sac ? J’aimerais les revoir. »

 

 

 

On y croise, outre les enfants avec leur bonhomme de neige, un couple de vieillards heureux, une famille s’en allant à la messe de minuit en carriole, le petit Jésus dans son étable avec sa paille, ses parents et un bœuf imbécile, puis d’autres petits regardant des boîtes enrubannées, à genoux devant un arbre, sous le regard attendri d’adultes. Les sujets ne sont guère différents de ceux vus sur des cartes commerciales, mais la façon de les présenter, avec des rondeurs, du noir qui semble éclatant et du blanc qui paraît scintiller. Cette méthode rend  les cartes uniques.

 

 

« Est-ce que tu vas encore faire ceci l’an prochain ?

- Mon frère aimerait bien, mais je ne sais pas trop. Cela me retarde dans la création de mes vraies peintures, qui sont davantage modernes. Je n’ai cependant pas déchiré les esquisses rejetées. Je verrai à ceci plus tard. Parfois, je me sens marchande, au lieu d’être une artiste.

- Tu sais, Jeanne, si ceci fait plaisir aux gens, tant mieux. Noël sert aussi à cela.

- J’ai pensé à une telle chose, depuis ces après-midis dans les grands magasins. Tu veux m’accompagner ? Aux Bons Achats, on m’a préparé un petit kiosque avec des lumières, des boules colorées, des guirlandes, toute la panoplie.»

 

 

Jeanne remarque jusqu’à quel point sa cadette semble danser à chacun de ses pas, comme elle paraît tout le temps en mouvement, avec sa tête, ses mains. Au casse-croûte, Bernadette faisait tourner une cigarette de Jeanne autour du cendrier. De plus, on la salue sans cesse, comme si cette petite faisait partie du folklore du lieu. Puis elle arrête promptement, pointant du doigt une vitrine avec une jolie robe, entourée de rubans. « Je l’aurais trouvée belle en octobre, mais parce qu’on a ajouté tous ces ornements, elle devient davantage merveilleuse. »


La Poudrée lui montre le seul commerce avec une crèche en vitrine : la librairie. Comme si Noël se séparait en deux parties inégales : la religion d’une part, et les festivités dans une plus grande part. Aux Bons Achats a réservé une belle place à Jeanne : dans l’entrée, face aux portes. Un autre commerce a exigé un pourcentage sur la vente des cartes et un dernier lui déroule aussi le tapis rouge, sachant que la jeune femme est une peintre applaudie dans les grandes villes de la province et que son intention ne semble pas pécuniaire. La peinture est vite accrochée et les cinq cartes trouvent place sur la petite table. Un commis lui offre des courbettes polies, mais mademoiselle Tremblay dit froidement : « Une tasse de café, à trois heures. » Madeleine regarde précieusement les cartes.

 

 

« Je vais les acheter. Cela va faire plaisir à mes parents.

- Acheter ? Prends, prends, Poudrée. Mon cadeau non pas de Noël, mais d’amitié.

- Je n’ose pas.

- Prends ou je te renie. Par contre, il faut les emprisonner dans un sac. »

 

 

Bernadette s’éloigne à petits pas, regardant cette femme si belle, qui ne sourit guère, mais agite un crayon qu’elle tient entre ses doigts, prête à dessiner quand son instinct le lui ordonnera. Poudrée songe à sa propre pensée et visite tous les départements. En effet, ce fauteuil est superbe, mais il l’était quelques mois plus tôt, sans que la jeune fille ne le remarque. Noël rend encore tout plus beau. Un vendeur lui fait signe : « Pourrais-tu  passer au bureau de poste et m’acheter une dizaine de timbres ? » C’est ainsi que la jeune femme gagne quelques sous pour ses dépenses quotidiennes. Les hommes lui font signe plus que souvent parce que c’est agréable de voir une demoiselle aussi charmante de près. Les femmes le font pour aider. Souvent, le pourboire est plus important que le prix du petit objet acheté. Un vétéran de la quincaillerie la surnomme « Ma fille » parce qu’il est père de six garçons, dont trois sont mariés et  devenus papas d’autant de fils d’Adam. Aucune fille. La Poudrée sait quels gestes poser pour attirer les regards et son succès le plus apprécié est lorsqu’elle danse autour du poteau d’arrêt du terminus d’autobus. De retour au grand magasin, la jeune s’informe des ventes de son aînée. Jeanne montre deux doigts, n’ajoute rien.



Bernadette sent que le plus beau moment consiste à passer par le département des jouets. Les enfants qu’on y croise sont tous très jeunes, mais les mères qui achètent le cadeau de Noël à celui ou à celle à l’école le font avec leur cœur de petite fille. Le samedi, les élèves, en congé, semblent tant et tant présents dans ce coin du commerce que la direction envoie un commis pour les surveiller. Le joyeux Noël passe par le désir d’un jouet, d’un seul, alors qu’il y en a des dizaines autour.Bernadette s’enivre de tant de joie enfantine et une fillette lui lance : « Le père Noël, c’est toi! » Pas tout à fait, mais il n’est pas loin, cet homme qu’on ne remarque pas en le voyant de dos, mais de face, plus d’un se voit étonné par une longue barbe blanche. La jeune femme l’avait rencontré l’an dernier, au Régal, et l’homme, ancien mécanicien de la gare, lui avait dit qu’il fallait huit mois sans se raser pour en arriver à ce résultat. Près de devenir octogénaire, il travaille comme père Noël d’une manière touchante, autant pour les petits que pour leurs parents, se disant : « Celui-là, c’est le vrai de vrai! »

 

 

La Poudrée a fait le tour de tous les coins, salue et parle aux employés, distribuant les souhaits de bon Noël à tous vents et elle répond en chantant « Allô » et en déposant des baisers dans le creux de sa main droite, avant de les souffler chaleureusement. Elle pense qu’il est temps de changer de commerce et de rencontrer d’autres gens, de regarder les étalages de jouets. Elle passe saluer Jeanne avant son départ et a la surprise de voir la peintre agenouillée près d’un petit garçon, en fauteuil roulant, la carte de souhaits avec les enfants et le bonhomme de neige entre les mains, ainsi qu’un père Noël qu’elle lui a dessiné. Le jeune semble ému, mais pas autant que sa mère, les larmes aux yeux, serrant la main de Jeanne en la remerciant sans cesse. Puis ils s’éloignent et Jeanne demeure droite, avant de se tourner vers Bernadette pour lui dire : « À propos de ce que tu m’as demandé au Régal, je viens de prendre la décision : oui, je le ferai encore, l’an prochain. »