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Titre du blog : Quinze histoires de Noël
Auteur : MarioNoel
Date de création : 28-11-2021
 
posté le 07-12-2021 à 23:09:47

La visite des anges

 

 

PRÉSENTATION


Voici un texte inédit, basé sur le personnage vedette de mon roman Les Bonnes Sœurs (L’amour entre parenthèses) publié en 2013. Cette fiction servait surtout à démontrer que les religieuses, malgré certaines contraintes dans leurs vies, étaient aussi des êtres humains, avec des émotions. L’idée des élèves se déguisant en anges pour distribuer des menus présents aux fillettes n’est pas une chimère de romancier : cela existait dans plusieurs couvents. Un texte entièrement féminin, pour un Noël peu connu.   

 

 

 

8 - LA VISITE DES ANGES (1946) 



De la ouate, des petites étoiles scintillantes, beaucoup de papier coloré : sœur Marie-Aimée-de-Jésus dépose ces menus achats sur le comptoir de la caissière, face à l’employée étonnée de voir une religieuse sourire aussi généreusement. « Mais oui, madame, une sœur peut aussi sourire! Surtout pour la préparation de notre Noël 1946. »

 

 

La congrégation n’est pas cloitrée, mais il ne faut jamais sortir sans permission motivée, puis ne pas demeurer longtemps à l’extérieur. Cependant, même si sœur Marie-Aimée-de-Jésus sait que la révérende mère a les yeux surveillant son horloge, elle se permet de tricher, comme, par exemple, pour regarder une vitrine. « Belle robe, même si le modèle manque d’humilité. Par contre, porter des chaussures avec de tels talons minces et pointus… jamais je ne pourrais! Et la vitrine voisine ? Oh, le père Noël. Ils ne mettent jamais bébé Jésus en vitrine, même si nous fêterons son anniversaire de naissance. Quelles jolies poupées! Les jouets me paraissent de plus en plus merveilleux. »

 

 

Noël dans un couvent a beaucoup changé, depuis vingt années, lui a raconté l’ainée des converses. Sœur Marie sait qu’elle est responsable de quelques modifications, sous prétexte de faire croitre la confiance des élèves de l’école en leurs enseignantes, puis de créer un climat serein, idéal pour poursuivre leurs études en janvier. La femme ne pense que pédagogie et ses supérieures admettent qu’elle excelle dans le devoir de faire progresser le niveau de l’enseignement. Cependant, il y a un aspect qui l’attriste : que les trois jours de congé autorisés ne concordent pas avec le choix des parents. Il faut cependant admettre que certains pères et mères demeurent très loin. Les règles de séjour sont allégées jusqu’au retour en classe et les sœurs mettent tout en leur pouvoir pour que les pensionnaires gardent un tendre souvenir de ces jours. Pour cette année, il y aura six pensionnaires jeunesse et cinq fillettes. Quatre de ces dernières savent ce qui les attendent, ce qui ne les empêche pas de rêver à ce moment où les grandes, déguisées en anges du Paradis, entrent dans le dortoir comme un si doux mirage, pour distribuer des sourires, des petits présents. Ces grandes ont vécu tant de beaux moments lors de leurs jours de jadis, en cette occasion, qu’elles se sentent ravies de devenir de anges. Sœur Marie-Adorée-de-Jésus l’a vécu, bien qu’à cette époque, pas si lointaine, les anges n’avaient pas le droit de se déplacer pieds nus. « Des anges avec des chaussures, ça ne fait pas sérieux », avait avoué l’incorrigible religieuse aux autorités, ne pouvant s’empêcher de dessiner un sourire discret face à l’audace de leur gentil mouton noir.

 

 

« Voici les petites étoiles réclamées, mademoiselle Arcand.

- Merci, ma sœur. Elles sont jolies.

- Je trouve votre idée de coller ces minuscules aux étoiles plus grandes est excellente. Vous êtes créative, mademoiselle Arcand.

- Vous aussi, surtout quand vous ouvrez des parenthèses au cœur de nos leçons. »

 

 

Même les demoiselles qui ne seront pas présentes lors de l’événement participent à la création des éléments de décoration, ainsi que les petites, qui dessinent des animaux, fières de savoir que leurs œuvres vont égayer la salle de récréation, jusqu’aux premiers jours de la prochaine année. À chaque messe matinale, les élèves ont tendance à vouloir regarder de près la crèche aménagée dans la chapelle. Elles admirent le visage de la sainte Vierge, même si elles se disent certaines qu’un bébé naissant tel Jésus ne devrait pas autant sourire. Les sœurs ont préparé une surprise dont les jeunes ne se doutent pas : la messe du 25 n’aura pas lieu dans le temple, mais dans une classe, qui sera aménagée par le chapelain et par le concierge du couvent.

 

 

 

Les religieuses savent que voilà dix années, Noël était consacré à la piété seulement. Bien sûr, cet aspect demeure important en cette journée, mais ce que toutes préparent pour les enfants les ravit profondément, comme un écho adulte de leurs jours où le 25 était à la fois un grand événement religieux et aussi profane, au sein de leurs familles. Elles ne se mettront pas à giguer au son d’un violon manié par un oncle turbulent, mais la chorale a préparé des chants folkloriques recommandés par le bon abbé Gadbois et ses cahiers de la Bonne Chanson, et qui seront un écho à leurs jours de fillettes. Se raconter des souvenirs sera certes présent après les repas, d’autant plus que le silence ne sera pas de rigueur dans la cafétéria. Pour leur part, les sœurs converses se vantent à toutes que les repas seront un péché mignon et que les friandises destinées aux enfants deviendront source de  bonheur.

 

 

« Ma sœur, ma robe d’ange est un peu serrée.

- Vous avez engraissé, mademoiselle Thivierge ?

- Ma sœur… tout de même…

- Demandez à nos apprenties couturières de faire des ajustements. Vous devriez le savoir, non ? Pourquoi me demander une telle chose ?

- Pour vous voir sourire, ma sœur, et peut-être vous entendre ouvrir une parenthèse. »

 

 

L’excitation s’empare en douce des six élèves appelées à jouer les anges. Rappel à l’ordre, mesdemoiselles! « Comme le père Noël, votre rôle consiste à rendre les enfants heureux. » La révérende mère a été informée de cette phrase de sœur Aimée-de-Jésus. En temps normal, il y aurait eu rencontre et discussion, mais à l’approche du moment espéré, il vaut mieux ne pas créer de vagues. L’enseignante croit que la révérende ne connaît pas trop la mission du gros barbu vêtu de rouge, croyant qu’il est un employé au service des grands magasins, qui profitent de la Nativité pour s’enrichir. Lors de la messe de minuit, ils pensent à Jésus pendant cinq minutes et regardent leurs  montres le reste du temps, pressés rentrer à la maison pour manger de la tourtière, boire de la bière et aboyer des chansons à répondre avec des passages vulgaires.

 

 

« Le plus beau cadeau de Noël de mon enfance ?

- Ne me dites pas une orange dans un bas accroché à une cheminée.

- Non, mademoiselle Arcand, car en fait de chauffage, nous… heu… Vous devinez la suite! Eh bien, j’avais reçu une poupée de chiffon, confectionnée avec soin par ma tante Eugénie, l’artiste de la parenté. Je l’ai gardée très longtemps.

- Pour ma part, c’était un chat de peluche. J’aime tant les chats.

- Vous avez vu le dessin de chat créé par une de nos petites ? Les enfants aiment tant les animaux.

- Vrai, sauf le chien de la famille Lajoie, prêt à dévorer tout ce qui passait sur le trottoir.

- Un chien diabolique ! C’est bien, votre coiffure, mademoiselle, mais je ne sais pas si dans le ciel de Dieu, les anges sont autant peignées à la mode terrestre.

- Oui et elles dansent le boogie woogie. »

 

 

Tout semble prêt! Le concierge et le chapelain ont sorti tous les pupitres de la salle de classe et ont accroché des décorations dans chaque coin. Les religieuses prient avec ferveur en attendant de guider les anges et de penser à la joie des petites, sachant que leur messe de minuit aura lieu demain à neuf heures trente. Après la dernière prière, les sœurs se lèvent, pensent à la poupée de jadis ou aux oranges et pommes. Les femmes rejoignent les anges, nerveuses. « Vrai que mademoiselle a engraissé… » pense sœur Marie. Les religieuses d’expérience ouvrent la marche. Tout près, les demoiselles allument leurs chandelles, alors que la révérende mère entrouvre la porte. Un soupir est suivi d’un Ooooo et, bientôt, les fillettes sont éveillées, se frottent les yeux, ne reconnaissant pas leurs aînées, certaines que ce sont de véritables anges descendues du Paradis. Heureuse, sœur Marie-Aimée-de-Jésus joint les mains en voyant les petites sortir, avec leurs guides ailés.

 

 

Les anges chantent les louanges de Jésus, tout en marchant vers la salle de classe, illuminée. Les petites regardent les décorations, tournant leurs têtes en tous sens. La révérende distribue les petits cadeaux : des images pieuses, mais aussi des cahiers à colorier, des cartes postales avec des paysages enneigés, des poupées miniatures, des chapelets, avant de passer au goûter : des biscuits au chocolat et des verres de lait. Puis il faut retourner au lit, les fillettes bordées avec affection par les anges. Pourront-elles dormir ? La nature et la fatigue triompheront. Demain, après la messe, il y aura un bon repas, puis une longue récréation dans la neige, mais sœur Marie se dit certaine que la plupart des récompensées examineront leurs cadeaux en pensant à cette vision de voir entrer des anges dans leur dortoir. Plus tard, devenues femmes et mères, des parents leur demanderont leur plus beau souvenir de Noël. Un cadeau ? Une nuit à danser et chanter ? Non : les anges dans un couvent et la nuit de Noël 1946