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Titre du blog : Quinze histoires de Noël
Auteur : MarioNoel
Date de création : 28-11-2021
 
posté le 11-12-2021 à 10:24:33

Noel a gogo avec les Indésirables

 

PRÉSENTATION


Je me sers ici des personnages en vedette dans mon roman publié Les Fleurs de Lyse. Nous voilà au cœur des années 1960, avec un groupe musical raffolant du rock & roll et du nom des Indésirables, mené par un doux dingue surnommé  Baraque, chanteur expansif. Ces vilains petits canards arriveront à enregistrer trois disques, dont un, Grand-père à gogo, deviendra un succès radiophonique, permettant à nos joyeux drilles des passages à la télévision. Les paroles de la chanson ont été écrites par Julie, adolescente intellectuelle et petite amie du guitariste rythmique Robert, et désignait le grand-papa du jeune homme : Roméo Tremblay. Le récit suivant contient des brides vues dans le roman, mais devient avant tout une création avec les personnages turbulents de cette fable moderne.   

 

 

10 - NOEL À GOGO AVEC LES INDÉSIRABLES (1966) 

 

 

L’on fête maintenant Noël le 15 décembre, le 27, et même le 2, cela dépend des disponibilités des locaux et des gens que l’on désire voir. Alors, je ne vois rien de mal à organiser un réveillon de Noël à gogo le 28, un mercredi, le jour le plus ennuyeux de la semaine, donnant l’assurance que les jeunes à inviter seront tous d’accord. Interdit aux plus de dix-huit ans ! Mon père, un croulant, a chialé contre cette idée, mais ma mère, davantage dans le vent, lui a fait entendre raison, ce qui n’empêchera pas le paternel de ficher le camp vers le  fond de l’horizon, loin de nos cheveux longs et de notre boucan.

 

 

 

Baraque m’a chanté sa litanie sur la règle d’or de tout bon party pour jeunes : inviter six gars et dix-huit filles. Quatre de celles-ci, mon amoureuse Julie, ma sœur Johanne et ses inséparables copines Nicole et Sylvie, promettent de demander à six filles de leur école et pas une de plus. Pour notre part, hors les cinq Indésirables, il nous manque six gars pour atteindre la dizaine des filles. Baraque jure que ce sera un party ennuyant, à cause de cette inégalité 10 & 10. À vingt jeunes, on va s’amuser, danser, se raconter des blagues et le groupe pourra certes présenter Grand-père à gogo, puis deux airs de Noël. À chacun sa tâche pour l’organisation : moi-même pour les disques. Comme il y en a! Mais aucun de Noël… Heureusement que Gilles, notre batteur, m’apporte le microsillon des Ventures, où ils reprennent les classiques du genre, mais en changeant les introductions, trafiquées en pièces rock populaires. Une bonne idée et très bien fait! Tout ça manque un peu de rock à gogo et même les Beach Boys se sont cassé le menton avec leur essai de nouvelle chanson de célébration. Toujours les mêmes, mais c’est ce que les gens désirent entendre, tout comme ils veulent un réveillon avec de la tourtière, mettre des lumières dans le sapin et déposer les cadeaux en dessous et que tous les enfants adorent le père No. Un peu comme du folklore et j’imagine que ce serait une triste fête sans une de ces chansons.  Mike, notre organiste, s’occupera de la technique, entre autres pour placer nos instruments dans un si petit espace et en pensant qu’il ne faudra pas faire paniquer les voisins, avec une sonorité trop élevée. Mon cousin Charles, guitariste soliste, s’occupera de contrôler Baraque dans le domaine des rafraichissements.  « Non, Baraque! Pas de bière! Du Coke ou du jus d’orange! » Gilles sera le ministre des loisirs, avec douze idées de jeux amusants et… Non, Baraque! Ne pas demander aux filles de se cacher et aux gars de les trouver pour les embrasser dans l’obscurité! Quant à ma sœur et ses filles : la décoration!

 

« On va mettre des ballons là, là là.

- Quelle couleur ?

- Rouge, à cause du père Noël.

- Oh, Jojo, j’ai une belle poupée du père Noël, à la maison!

- Apporte-là, Nini.

- Où installer les ballons ?

- Près du plafond, là là. Puis des serpentins!

- De la ouate pour imiter la neige!

- Bonne idée, Vievie!- Puis la crèche ?

- Tu veux mettre une crèche pour un Noël à gogo, là là ?

- Je suis certaine que Jésus adore les Beatles!

- On la mettra sur le comptoir du bar. Ainsi, tout le monde pourra la voir, là là.»

 

 

Ce sera une fête intime, car si tout le monde savait que les Indésirables organisent une rencontre, tous les copains et copines de la ville se seraient présentés, parce que nous sommes passés à l’émission de télévision Jeunesse d’aujourd’hui. Ah, il faut l’avouer : 1966 fut une bonne année pour les Indésirables suite au succès de notre 45 tours!

 

« Je peux participer aussi, Robert ?

- Toi, grand-père Roméo ? Mais c’est une fête pour jeunes.

- Mais puisque je suis à gogo.

- Robert, Roméo pourrait se déguiser en père Noël, pour apporter les présents, cela pendant que vous allez jouer votre succès.

- Julie! Une merveilleuse idée! T’es d’accord, grand-papa ?

- Oui, bien sûr! » 

 

 

Nous avons du budget pour les cadeaux, mais sûrement pas pour tant de personnes. Il vaut donc miser sur des petits présents. Johanne et les filles choisiront pour les garçons et les Indésirables, pour les filles. Ces derniers présents seront emballés dans du rose et ceux de gars sur… pas besoin de la dire. Petites choses comme du chocolat, des 45 tours, la plus récente copie de la revue Salut les Copains, des rubans pour les cheveux, des…


« Des capotes ?

- Honnêtement, Baraque, hein…

- Quoi ? Peuvent en avoir besoin, à la fin du party.

- Sois délicat envers les demoiselles.

- Mais avec une capote, je suis…

- Tais-toi! »

 

 

Le moment important arrivé, nous sommes excités alors qu’arrive un premier invité, qui, très chic, transporte une petite boîte enrubannée. Cadeau pour le groupe ? Les gars sont vêtus relax, mais les filles semblent porter leurs plus belles jupes et robes. J’ai du mal à retenir Baraque, prêt à leur faire la cour à sa façon rock & roll. Je me précipite vers le phono et sélectionne les 45 tours à faire entendre pour l’ambiance de bienvenue, manipulés par Julie, boudeuse parce que je ne ferai pas entendre Claude Réveiller et Jacques Bref.

 

 

« As-tu Va-t-en, par les Sultans ?

- Je ne sais pas.

- Chaque fois que Bruce chante Va-t-en, Va-t-en, je pleure tout le temps.

- Regarde.

- Tu n’as pas l’air de bonne humeur. Quel est ton nom ?

- Julie. Je suis la petite amie de Robert, le guitariste rythmique.

- Oooooh! Quelle chanceuse! En amour avec un musicien yéyé! »

 

Cela ne prend pas des heures que la musique ravit tout le monde. Gars et filles dansent, prennent une pause pour raconter comme le prof de mathématique est chien et que la bonne sœur de biologie est vache. Les filles admirent les décorations et les gars trouvent curieux de croiser une crèche si près du bar, où il n’y a que du Coke et du Seven-Up, puis deux bouteilles de Fanta pour Mike. Baraque danse un jerk endiablé au son d’un succès des Supremes et il a l’air d’une tornade, prêt à ravager le pays des filles d’Ève. Se mêleront le monkey à l’incontournable Ya Ya, que Baraque qualifie comme la polka de la jeune génération.  Il réclame un slow. Julie a trouvé le disque des Sultans.

 

 

« Vrai qu’elle pleure. Phénomène adolescent intéressant. Bon sujet pour une analyse psychologique.

- Va parler avec les autres filles. Je prends ta relève.

- Si je vois ton imbécile de gorille trop serrer la taille d’une invitée, je te promets une contestation à tout casser. »

 

 

Julie n’est pas trop aimée par ses semblables. Trop différente. Ne porte-t-elle pas un blue-jeans ? Pour Noël ? Plusieurs seraient stupéfaites d’apprendre qu’elle a composé les paroles de Grand-père à gogo. Quand Baraque lui ouvre ses six bras, elle passe outre avec un air hautain à tout casser. Les filles dansent surtout seules, car les gars semblent davantage intéressés à regarder nos instruments et à parler de l’avenir des divins Canadiens de Montréal contre ces pourris de Maple Leafs de Toronto. Je passe le Satisfaction des Rolling Stones et tous se lancent pour rejoindre les filles, tout en jouant de la guitare invisible. Je fais suivre par la face A du microsillon des Ventures et tout le monde tombe dans leur panneau des fausses introductions enchaînées par une ritournelle de Noël. Voilà Johanne et ses acolytes et leurs jeux sociaux. Jouons à l’âne en premier lieu. Il s’agit de piquer la queue de l’animal au bon endroit, tout en ayant les yeux bandés. Un peu enfantin, mais tout le monde semble de si bonne humeur et participe. C’est à ce moment que j’entends la sonnerie de la porte. Je monte à toute vitesse pour voir ma mère ouvrir à son papa Roméo.

 

 

« D’accord, grand-père ? Après le deuxième morceau, tu descends, alors qu’on aura commencé à jouer Grand-père à gogo.

- Très bien, Robert.

- Maman, donne-lui le sac de cadeaux. Il n’y a pas de noms écrits sur les boîtes, mais les bleus sont destinés aux gars et les roses, aux filles.

- Très scientifique méthode!

- Et ton costume ?

- Un peu grand pour moi et le grand-père à gogo ne portera pas la barbe blanche. Je paraîtrai davantage dans le vent. »

 

 

Nous avons exercé deux chansons de Noël : Jingle Bell Rock et Le petit renne au nez rouge, mais il fallait bien que Baraque annonce : « Salut, les gars! Et surtout salut, les filles! On va débuter par une grande chanson de Noël : Louie Louie! » Oh non… Cela va confondre grand-père. Je passe près de mon chanteur et le lui souligne la situation. « Ah oué… Louie Louie, c’est pour le jour de l’An. La vraie chanson, c’est Jungle Belle. » Approximatif, mais sans importance : garçons et filles se tortillent, tapent dans les mains, contents d’entendre la guitare électrique de Charles et l’orgue de Mike. Quand on commence la troisième chanson, tout le monde explose de joie, mais personne ne s’attendait à voir descendre le véritable grand-père à gogo, comme il avait fait à Jeunesse d’aujourd’hui. « Oh oh oh », déclare-t-il, en agitant sa poche pleine de cadeaux.        

 

 

Il commence la distribution des présents. Les filles se lancent vers lui pour s’assoir sur ses jambes, ce qui fait grogner Baraque. Tout le monde sautille, s’esclaffe, remercie pour ces petits de rien du tout. À la fin, voilà grand-père prêt à retourner chez lui, mais nos invités lui réclament un bis, au son des Indésirables et de notre succès.         

 

 

Après son départ, l’on danse encore et jouons, mais cela ressemble à un party comme un autre. La vraie fête de l’esprit de Noël s’est manifestée avec l’arrivée de grand-papa. On nous pose des questions incessantes sur l’homme. Puis Julie, peu festive et très discrète, nous sidère en disant calmement que le véritable esprit de Noël, c’était le rapprochement dans le partage entre jeunes et un homme âgé. Tout le monde était d’accord et plusieurs clament même que ce fut leur plus beau Noël de leur vie. Allez, Baraque! Chante-nous Louie Louie pour la cerise sur le gâteau!