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Titre du blog : Quinze histoires de Noël
Auteur : MarioNoel
Date de création : 28-11-2021
 
posté le 13-12-2021 à 08:04:07

La poupée pour Isabelle, c'est promis

 

 

PRÉSENTATION


 Bien sûr, les enfants de quatre ans ne parlent pas de cette façon, dans la vie quotidienne ! Mais les romanciers se le permettent. Nous voici au début des années 1980 et la petite Marie-Lou nous entretient de Noël, jusqu’à ce que sa meilleure amie Isabelle, de milieu défavorisé, ouvre grands les yeux face à une magnifique poupée. Elle croit que ses parents ne pourront jamais lui acheter un tel trésor, mais Marie-Lou lui jure qu’en demandant au père Noël, elle obtiendra le trésor, surtout que la blonde enfant connaît personnellement le gros bonhomme, rencontré dans des circonstances qu’on n’imagine pas… Une modification d’un extrait apparaissant dans mon roman Des Trésors pour Marie-Lou, publié en 2002. 

 

 

12 - LA POUPÉE POUR ISABELLE, C’EST PROMIS (1981)              



Le père Noël est un monsieur obèse qui porte une fausse barbe et s’habille en rouge. Il est engagé chaque année par le centre commercial où ma maman a un magasin. Il y a autant de pères Noël que de centres commerciaux. Ces hommes travaillent à rendre les enfants heureux, même s’ils doivent nous poser des questions idiotes pour savoir si on a été sages, si on a obéi à notre maman, des trucs dans ce genre-là... En principe, le véritable père Noël habite le pôle Nord, un endroit très froid. Avec ses assistants et des lutins, il travaille à fabriquer les jouets qu’on voit dans les boutiques. Après onze mois dans leurs bureaux, ils se paient des vacances et arrivent à Trois-Rivières pour prendre les enfants sur les genoux en disant oh ! oh ! oh !, même s’il n’y a rien de drôle.

 

 

Je dis au père Noël ce que je désire comme cadeau. Et puis, à sa pause-café, il va confier ce secret à ma mère, qui travaille à quelques boutiques de la promenade du centre commercial. Le père Noël, cette année, va toujours faire pipi dans la toilette du magasin de maman. Ainsi, je suis certaine d’avoir le bon cadeau. Je lui demande aussi un présent pour mon anniversaire de naissance, deux jours après Noël. Isabelle, ma meilleure amie de la maternelle, est venue au monde un peu avant le jour de l’An, mais ses parents ne lui donnent pas un présent supplémentaire. Ce n’est pas juste. De toute façon, Isabelle et moi, on n’aime pas le jour de l’An, qui ne sert qu’à regarder des comiques criards à la télévision. La vie ressemble à une fête continuelle. En plus de Noël, il y a Pâques (avec du chocolat), la Saint-Jean-Baptiste (avec des drapeaux), l’Halloween (avec des déguisements), la fête du Travail (avec rien) et les journées pédagogiques. Il y a aussi la fête des amoureux, dont j’ai oublié le nom.             



À la maternelle, ils nous font coller sur des cartons toutes sortes d’images en vue de chacune de ces fêtes. Moi, je me penche sur des belles cartes avec des dessins. Cette semaine, on vient de fabriquer des cartes de Noël et on monte dans un autobus pour aller les donner à des grands-parents (et même des plus anciens) dans un endroit où ils installent tous les vieux dans une grande salle avec un téléviseur. Il semble qu’ils aiment recevoir la visite des enfants de la maternelle. Je suis un peu déçue parce que ce ne sont pas des vrais vieux. Roméo est vraiment vieux. Ceux-là font semblant. Ils sont gentils quand même et nous parlent comme à des bébés. Après, on retourne à la maternelle et mademoiselle nous dit qu’on vient de créer l’esprit de Noël. Elle est bizarre, mademoiselle.             



La semaine prochaine, on devra emporter des boîtes de conserves pour donner aux pauvres qui n’en ont pas pour célébrer. Je n’en ai pas non plus, car ma maman fête Noël avec de la dinde et des tartes à la tourtière. Isabelle, qui est pauvre, préférerait une nouvelle poupée à une conserve de soupe aux pois. L’an dernier, elle en a demandé une au père Noël et il ne lui en a pas apporté. Sa famille a eu de la soupe aux pois quand même. Les pauvres sont des gens qui passent tout leur temps à regarder la télévision. Ils achètent des billets de loterie et vont flâner au centre commercial. Leurs enfants sont mal vêtus, parce que leurs parents n’ont pas d’argent, car il y a trop de billets de loterie à se procurer. Isabelle n’aime pas Noël. Elle prétend que c’est une fête pour les riches.

 

 

 Ce samedi, maman engage une vieille de quinze ans pour nous accompagner au centre commercial, pendant qu’elle travaillera. Il y a tant de belles choses dans les magasins, au mois de décembre. Pour les enfants, c’est  la règle « Regardez, mais ne touchez pas ». De toute façon, les plus beaux jouets reposent sur les hautes tablettes et nous ne sommes pas assez longues pour les atteindre. Nous avons l’impression qu’il y a plus de jouets que d’habitude, qu’il ne pourra plus jamais y en avoir autant. Isabelle se tord le cou en regardant vers le sommet d’une étagère où, triomphalement, règne une poupée plus grande qu’elle. Je saisis la gardienne par la taille pour lui demander de la grimper sur ses épaules, mais les deux se retrouvent sur leurs derrières. Je console Isabelle, même si elle s’est fait moins mal que la fille. Je prends mon amie par la main pour courir, pendant que l’autre se frotte les fesses. Nous nous cognons contre un adulte, du genre en uniforme qui empêche les enfants de faire ce qui leur plait et nous avertissent avec une voix niaiseuse.

 

 

Plus loin, il y a  des belles décorations. Nous ouvrons autant nos bouches que nos yeux aussi multicolores que toute cette symphonie brillante. L’adolescente nous retrouve, pas très contente, et nous retournons vers les beaux jouets. Nous espionnons les adultes qui achètent des joujoux à leurs petits. Isabelle se cherche parmi eux de nouveaux parents et, pour me part, je fais de la prospection pour trouver un père. Soudain, un vendeur, grimpé sur un escabeau, prend la poupée géante qui faisait l’envie d’Isabelle, il y a quelques minutes. Il la donne à un couple vêtu comme des sapins. Isabelle les regarde s’en aller aussi loin que ses yeux peuvent les apercevoir. Le commis, amusé, nous dit qu’il y aura une nouvelle poupée toute pareille, dans quelques minutes. Une jumelle ?             



Nous marchons vers la promenade pour regarder le père Noël recevoir les gamins. Je crois que ce père est plus beau que celui du centre commercial du Cap-de-la-Madeleine. « Je le connais. Il va faire pipi dans la toilette du magasin de maman ». Isabelle se voit stupéfaite d’apprendre qu’un père Noël puisse uriner.             



La gardienne décide de nous payer une crème glacée à la cerise pour se reposer de notre exubérance. Je parle de tous les jouets vus, mais Isabelle ne pense qu’à la poupée géante. Je demande à la fille un souvenir d’un de ses Noël de l’ancien temps, vers 1972. À la maison, on  a une photo de cette époque de maman et elle portait des cheveux dans tous les coins.              



Midi approche et l’ado va passer au magasin pour que maman lui donne sa paie. On a la surprise de constater que le père Noël n’est plus sur son trône. Je suis certaine qu’il est en train de pisser chez maman! Idéal pour qu’Isabelle lui demande en privé la poupée. Le voilà! Comme je suis intelligente! Mais le père Noël ne fait pas pipi, mais mange des sandwiches, assis face au petit bureau de l’arrière boutique. « Oh Oh Oh », assure-t-il. Isabelle agrandit les yeux, impressionnée. Il connait son métier et fait monter Isabelle sur ses genoux. Maman profite de l’absence de clients pour approcher et regarder.

 

Quand il demande à mon amie ce qu’elle désire, la description de la poupée blonde passe en premier lieu. « La poupée pour Isabelle, c’est promis. » Il ne s’attendait pas qu’elle se mette à pleurer, disant que l’an dernier, il l’avait ignorée, que ses parents sont trop pauvres pour espérer recevoir un vrai cadeau. Maman semble touchée. Moi aussi… Pauvre Isabelle, incapable de cesser de verser des torrents! Quand elle se calme enfin, le père Noël, mal à l’aise, m’invite à monter aussi sur ses genoux, même si je lui ai parlé la semaine dernière. « Ce que je veux comme cadeau de Noël ? Qu’Isabelle ait sa poupée. »            



Nous montons dans l’autobus et la gardienne vient nous reconduire à la maison, où grand-mère Bérangère nous attend, pour prendre soin de nous, avant le retour de maman de son travail. Isabelle ne  semble pas vouloir jouer. Bérangère essaie de nous amuser et doit se demander ce qui se passe avec mon amie. Dans ma chambre, il y a plein de jouets et je pense qu’Isabelle n’aimerait pas les voir. Je monte chercher des ciseaux, pour découper les femmes et les hommes dans le catalogue de Noël. Cela distrait Isabelle, tout comme le disque de musique ancienne de Paul Piché que grand-mère fait tourner, pour tenter de nous faire chanter. Pendant qu’elle parle au téléphone, je me presse de sortir un autre disque, un peu plus à la mode.            



« Isabelle, ma fille, la maman de Marie-Lou,  vient de me dire que tu vas souper ici. Je vais téléphoner à tes parents pour les avertir. » Ma mère revient à l’heure prévue. Notre repas est interrompu par une personne sonnant à la porte. Le père Noël du centre commercial! Il tend à Isabelle une grande boîte. « Je te l’ai promis, Isabelle. Joyeux Noël! » La poupée géante! Isabelle  danse autour tout en pleurant. Moi aussi j’en verse, tout comme maman, mais on entend le père Noël s’éloigner en sifflant un air du temps des fêtes. Jamais je n’oublierai ceci, j’en suis certaine! Et quand je serai vieille comme grand-mère, à chaque Noel, je raconterai ceci à mes petits-enfants.